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240 MACHIAVÉLISME.

Borgia, !e héros de Machiavel et l’exemplaire de son Prince. Le machiavélisme commence parle mensonge, dont il se sert comme les antres hommes se servent de la vérité. Si le mensonge ordinaire n’y sntut pas, il emploie le mensonge solennel, qu’on appelle le parjure, pour rassurer ses victimes et les faire plus sûrement tomber dans le piège. Ce sont là ses moyens les plus innocents. Mais comme le mensonge a bien vite excité la déuance, et mis les gens sur leurs gardes, il faut recourir à des armes plus emcaces, c’est-à-dire à la violence sons toutes ses formes, depuis la spoliation qui affaiblit les adversaires jusqu’à l’assassinat caché ou public qui les supprime. Voilà en quelques mots la carrière du machiavélisme, mais il est peu d’hommes, même entre les plus mauvais, qui soient de force à la parcourir tout entière ; il y faut des consciences déshéritées de toutes les notions du bien et du mal, et aveuglées par un désir efMné des jouissances et du pouvoir. Quand au faite des grandeurs il se rencontre des âmes de cet ordre, des âmes cadavéreuses, comme dirait Rousseau, il n’y a rien alors que ne puisse rêver et accomplir la perversité unie à la puissance. A un premier crime qu’on a commis impunément, s’ajoutent bien vite tous les autres crimes que la passion enfante et que réalisent des coeurs qui ne sentent pas l’horreur de leurs actes et ne craignent plus d’en être châtiés. Comme l’a très-bien remarqué Voltaire, on ne fonde rien par le machiavélisme ; et tout le succès qu’il peut remporter, quand ii réussit, n’est qu’un succès passager, rarement aussi durable que la vie même de celui qui l’achète à un tel prix. Mais cette observation de Voltaire est à peu près aussi ancienne que le machiavélisme lui-même, né bien longtemps avant que Machiavel ne lui préparât un nom qui le résume d’un seul mot en le diffamant. On n’a qu’à ouvrir les dialogues de P !atcn dans la République et dans le Gon~’a~, on trouvera les traits épars du machiavélisme de l’antiquité, avec la juste flétrissure qu’il mérite. Si l’on veut un tableau complet et frappant, on peut consulter la Politique d’Aristote. Au livre Vf ! chap. ix de notre traduction, on doit lire des pages admirablesqui s’appliquent aux despotes de tous les temps, et où la vérité immortelle est marquée en des expressions que les siècles n’ont pu effacer ni même faire pâlir. Ce n’est pas ici le lieu de répéter ces protestations de la conscience humaine contre les oppresseurs et les scélérats parvenus à régner, protestations aussi vieilles que l’indignation des honnêtes gens et que les abominations du crime. Mais on peut rappeler les derniers mots par lesquels Aristote termine cet incomparable portrait du tyran « Toutes ces manœuvres et tant d’autres du même genre que la tyrannie emploie pour se maintenir, sont d’une profonde perversité. ""Et un peu plus bas, invoquant le témoignage de l’histoire, il ajoute Et cependant, malgré toutes ces précautions, les moins stables des gouvernements sont l’oligarchie et la tyrannie. A tout prendre, la plupart des tyrannies n’ont eu qn’nne très-courte existence. Machiavel lui-même avait pu voir de son vivant ou avait été mené le Valentinois par tant d’habileté unie à tant de puissance. Après avoir tratné de prison en prison, il était allé monrir obscurément en Espagne sous les murs d’une bourgade qu’il assiégeait, fin d’ailleurs trop belle pour un misérable tel que lui. Mais cet exemple n’a. vait pas instruit Machiavel ; et le ~rt~ee paraissait assez longtemps après que César Borgia avait expié ses forfaits par la déchéance et par l’exil. C’est que le machiavélisme ne périn pas ; changeant de formes selon les tempt, les lieux, les peuples, il subsistera autant qae le vice dans le cœur de certains hommes, et l’abus possible du pouvoir livré à des mains coupables. H y a eu des siècles longs et déplorables où la politique, soit au dedans, soit surtout à l’étranger, n’a été qu’une suite de mano’uvres machiavéliques, où l’on se croyait autorisé à tout contre les ennemis intérieurs ou contre ceux du dehors. Le moyen âge nous offre une suite non interrompue de ces ni. deuses pratiques que tout le monde acceptait, en essayant d’en user à son profit. Cette poli.tique infernale, pour reprendre l’expression de Voltaire, a atteint son apogée dans l’Italie du quinzième et seizième siècle, et Machiavel n’a fait qu’en rédiger le code. Elle a été à l’asage des Louis XI et des Philippe II ; elle a encore souillé la France sous les Valois et même parfois sous Richelieu. De nos jours, elle de.meure toujours la seule que connaissent dans les deux mondes une foule de petits États à demi civilisés et livrés à une anarchie presque barbare,, quoique très-corrompue. Dans les grands Etats elle a dû disparaître, ou dn moins se dissimuler en partie, devant les progrès du droit des gens et de l’honnêteté publique. Cependant elle y a en encore de temps à autre des explosions honteuses. Notre temps en a vu un mémorable exemple, que l’histoire a condamné sous le nom d’attentatde Bayonne. (~. M. Thiers, Histoire du Consulat et de ~’ËMp~e, livres XXIX, XXX et XXXI, Aranjuez, Bayonne et Baylen.) La manière dont Napoléon 1" s’assura le trône d’Espagne est un tissu de perfidies indignes d’un si grand homme, contre des malheureux sans défense, ourdies avec une finesse et une vigueur de ruse que les plus habiles adeptes du machiavélisme n’ont jamais dépassées. Avec le meurtre dn duc d’Enghien, c’est, comme le dit très-bien M. Tbiers, la seconde des deux taches qui ternissent sa gloire ». (Tome VIII, page 858.) Mais le moraliste, toujours uni à l’hnitorien, montre aussi le châtiment après le crime, et il présente Baylen comme la première expiation de Bayonne. La guerre d Espagne a été l’occasion, si ce n’est la seule cause des revers de Napoléon et des nôtres. Mais ces pnnitions légitimes qui ressortent des événements comme une justice vengeresse et un avertissement de la Providence, ne découragent pas le crime ; séduit par l’attrait des circonstances, et se flattant d’échapper, par un redouble-