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LIBERTÉ.


qu’elle est la mère des nouveautés. Cela est vrai ; et c’est pour cela que la philosophie, la liberté et le progrès ne font qu’un. Nous ne disons pas, tant s’en faut, que la société ne doit jamais reculer, jamais s’arrêter, encore moins qu’eue doit se jeter à l’aventure dans l’inconnu. Il faut quelquefois reculer, quoique rarement ; il faut quelquefois s’arrêter, quoiqu’à regret. Mais ce sont des malheurs et des exceptions ; des fautes à réparer, des blessures à guérir. L’immobiuté n’est pas dans la donnée de l’humanité. On peut dire beaucoup de choses sur les méthodes éprouvées, sur les bonnes et solides traditions ; ces lieux communs de la politique rétrograde n’auront quelque valeur que quand on aura prouvé ces trois propositions 1 )e monde était autrefois plus heureux qu’aujourd’hui ; 2° le monde était autrefois la même matière à gouverner qu’aujourd’hui ; 3° il peut y avoir, dans le monde politique, une autorité infaillible ou un système parfait. Si ces trois propositions sont autant de billevesées, il faut se jeter dans les bras de la philosophie.

Aujourd’hui surtout que la science se précipite, l’immobilité politique est deux fois impossible. Le monde physique est complétement transformé par l’introduction de la vapeur, qui a changé toutes les proportions du temps et de l’espace, et rapproché en tout sens l’effet de la cause. La vapeur ne fera pas moins de changements dans l’ordre moral. Elle change jusqu’à l’homme même ; car elle augmente l’importance de la tète et diminue celle des bras. Eife change les rapports des sexes, car elle oblige les femmes à prendre les habitudes des hommes. Elle fait des révolutions sociales, en créant, ici des accumulations, là des déserts, en substituant la vie en commun à la vie privée, l’autorité du contre-mattre à celle du mari et du père, et le règlement à la liberté. C’est elle, à n’en pas douter, qui tend à introduire le libre échange. Et elle en est à son commencement. Gouverner ce nouveau monde avec

les anciennes traditions, serait une entreprise aussi raisonnable que celle de Don Quichotte, qui voulait réformer l’art de la guerre en supprimant la poudre.

U faut bien se garder d’ailleurs de confondre la philosophie avec l’utopie. Les utopistes sont les éclaireurs, et un peu les enfants perdus de la philosophie. Us lui sont utiles, à condition de comprendre qu’ils ne font pas partie de la science à proprement parler. Ils n’ont chez elle que voix consultative. La philosophie est la mère des nouveautés ; mais elle s’appuie sur des principes éternels, qu’elle ne peut abandonner sans se nier et se détruire elle-même. Entre se donner à la science ou se livrer au hasard, il y a un abime. Les réformes étourdies, la liberté déréglée sont autant les ennemis de la philosophie que l’immobilité et la routine. Pour la société comme pour l’homme la vraie liberté est la liberté éclairée. Nous avons l’illusion de posséder la liberté philosophique ; elle n’est ni dans nos mœars, ni dans nos lois. Nous ne comprenoBjs même pas la liberté des cultes, qui n’en est qu’une partie. EUe n’est pour nous que la liberté de choisir sou culte, ou même de n’en avoir pas liberté toute négative. U nous suffit qu’on ne puisse pas être contraint d’aller à la messe, et qu’un protestant ou un juif puisse aspirer à tous les emplois. On ne demande même pas s’il y a égalité entre tous les cultes, si l’un des cultes jouit de droits politiques et d’immunités refusés aux autres, si les budgets et subventions de toutes les sortes sont répartis proportionnellement au nombre desMetesde chaque

communion, si les églises sont libres de se gouverner eiies-mêmes en se conformant à la loi, ou si l’État, qui professe l’indifférence des religions, intervient dans la direction de presque toutes les affaires temporelles ou spirituelles. Il nous}para !t à tous parfaitement indifférent qu’un culte nouveau ne puisse s’établir sans obtenir l’exequatur du gouvernement, et qu’un culte ancien ne puisse se propager et s’étendre sans la permission municipale. Des croyants zélés qui, à ce titre, devraient réclamer la liberté de discussion pour eux et pour leurs adversaires, font appel à des lois de répression, et se croient mieux protégés par les tribunaux que par la vérité tant nous connaissons mal la douceur et la force de la liberté. Tandis que la liberté des cultes est interprétée partout dans le sens de l’indifférence, la liberté philosophique n’est ni pratiquée ni revendiquée. Les gouvernements et les églises en ont peur, les lettrés la dédaignent, la masse qui serait prête à écouter, à comprenndre, à se passionner, n’est pas même avertie. H en résulte qu’il y a bien un parti du progrès, comme il y a un parti de la liberté, parce que l’un ne va pas sans l’autre ; mais il n’y a pas de science de la liberté inconséquence flagrante. Comme si le hasard était plus rassurant que la science 1 Ceux qui veulent reculer ou arrêter sont seuls excusables d’entraver la philosophie. A qui veut rester au port, point de boussole. Où est-il ce port, où on voudrait retenir le monde ? Ses bassins ne sufllsent plus à contenir les vaisseaux, ses magasins d’approvisionnement sont épuisés, la mer a emporté ses digues. Quand la nécessité nous entraîne vers d’autres rivages, nous jetterons-nous à l’aventure à travers les flots immenses

? 

C’est un fait incontestable que d’un bout à l’autre de la France les ouvriers demandent des écoles ; c’est le cri de tous les ateliers. Ils ne réclament que le commencement, c’est-àdire des écoles primaires à l’autre extrémité dn monde intellectuel, réclamons des écoles philosophiques, c’est-à-dire la liberté de la parole et du livre. N’attendons que de la science le progrès et la liberté. Semons la liberté avec les lumières à cette condition, le parti de la liberté est le vrai et le seul parti de l’ordre. La société aura conquis son état normal, quand tout le monde comprendra que c’est la liberté qui est rassurante.

En un mot, la~erté politique nous échappera tant que ~~t chercheroas seule. NOM