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ce qu’ils ont fait. Et il en sera toujours ainsi tant que nous n’aurons ni la pratique quotidienne, ni la théorie de la liberté, c est-à-dire tant que nous anrons la liberté de garantie san~ avoir la liberté de fait et l’organe de la liberté. La Constitution même la mieux faite n’est jamais qu’une lettre morte, si on n’a pas en même temps ce qui la fait aimer et ce qui la fait comprendre. En tout temps et en tous lieux, les mœurs sont plus puissantes que la loi.

Quand on dit qne la France ne se soucie pas de la liberté, et qu’elle ne la comprend pas, on a presque raison. Quand on dit qu’elle n’est pa capable de 1 aimer et de la comprendre, on a tort. Son malheur est de s’obstiner à la chercher où elle n’est pas, ou du moins où elle n’est qu’imparfaitement. Elle est vcrsatile et maladroite en politique, parce qu’elle ne Toit pas l’effet, et qu’on ne lui montre pas la cause,

Lorsque nos pères ont fait la révolution de 1789. il n’y avait en France aucune liberté. ).e roi était absolu ; tout le monde n convenait, même l’opposition, quand il y en avait. On lui opposait la raison, l’intérêt public, les usages, jamais le droit. parce qu’il n’y avait pas d’autre droit que le sien. Les parlements avaient en apparence le droit d’enregistrement et le droit de remontrance ; mais le roi se riait du droit d’enregistrement et dn droit de remontrance, paice qu’il avait le droit de faire enregistrer tout ce qu’il voulait, en tenant un lit de justice. H a*~it en outre, contre les conseillers turbulents, les lettres de cachet, et contre les parlements obstinés, l’exil. D’où il suit que les parlements n’avaient aucun droit. En fait, ils pouvaient être un obstacle ; mais à une condition, c’est qu’il y eùt de l’esprit public ils étaient tout au plus la forme que prenait l’opinio" pour résister. La noblesse française était une oppression, elle n’était pas une institution. Elk avait des droits contre le peuple, elle n’en avait aucun contre le roi. Les pairs siégeaient au Parlement, où ils avaient moins de puissance que les conseillers ; les autres nobles n’avaient même pas la permission de se réunir, si ce n’est dans les États généraux, et les États généraux dépendaient du bon plaisir dn roi, puisqu’ils étaient convoqués par lui. Les communes ne valaient pas davantage. Leur affranchissement les avait ôtées aux seigueurs pour les donner au roi, simple changement de tnattre. Les élections d’échevins étaient simulées c’était, en réalité, le ministre ou l’intendant qui faisait les choix. L’éehevin, une fois étn, n’exerçait aucune autorité. S’il en avait âne ombre, c’était comme agent de l’intendant Ou du subdélégué. La religion catholique étant la religion de l’État, on ne pouvait ni exercer un droit civique, ni obtenir un-emploi, ni même tvoinmétat civil, à moins d’être catholique. Les femmes des protestants étaient censées des concubines, leurs enfants étaient des hâtards, leurs biens pouvaient être réclamés à hm mort par leurs cottatéraux catholiques. tetBtetieF~apparteaaientanroi, <pti Tendait la permission de les exercer, et il était défendu à nn métier d’empiéter sur l’antre, et à un maître de modifier les procédés de fabrication. Dans cette oppression, et dans cette privation absolue de la liberté, la France était digne d’être libre ; elle en était capable, elle y avait droit, et elle le montra doublement, par les admi.rables travaux de ses députés, et par l’inviotable attachement qu’cHe a gardé à leur œuvre ; car la France qui n’aime plus assez la liberté, continue à aimer la révolution. Comment se fait-il qu’elle aimât alors la liberté, sans en avoir joui, et qu’elle y soit indifférente aujourd’hui après l’avoir pratiquée ? C’est que la révolution de 1789 a été l’expression et la conséquence d’une philosophie et qu’elle a laissé des traces profondes dans la vie de chaque jour. Au lien de s’occuper seulement de politique et de se tenir dans la région intermédiaire des constitutions, elle est remontée jusqu’aux principes scientiûqucs, et descendue jusqu’aux applications usuelles. La France redeviendrait libérale aujourd’hui aux mêmes conditions. Son malheur est de n’aller ni assez haut, ni assez bas.

Les traces laissées dans la vie pratique par la révolution sont tellement nombreuses, qu’il est impossible de les énumérer toutes. On peut presque les résumer par ce seul mot, l’égalité : égalité des cultes, égahté des citoyens devant la loi, devant l’impôt, devant le travail ; égalité des frères dans la famille. En effet, l’égalité. qui est la partie la plus importante des libertés de fait, a été solidement et définitivement fondée par la révolution. Le peuple y tient avec tant de force qu’on ne pourrait pas y toucher impunément. On a essayé une fois, mais on sait à quel prix, de rétablir le droit d’aînesse. Le prétendu rétablissement de la noblesse n’a été que le rétablissement des titres, que le peuple a jugé, à bon droit, insignifiant. U n’aurait supporté ni juridiction exceptionnelle pour les nobles,ni exemption d’impôts, ni droits exclusifs auxfonctionspubliques. 11 a tenu également avec énergie à la liberté des cultes, qu’il interprète dans le sens de l’indifférence religieuse. Le rétablissement, même Incomplet, de la religion d’Etat, a été une des mesures les plus impopulaires de la Restauration, et une des causes de sa chute. C’est donc par là que le peuple tient à la révolution. On peut dire qu’il lui est attaché par le fond de ses entrailles. Il a été moins Odèle aux libertés joolitiques, ou libertés de garantie, qu’il n’aimaitpaspour elles-mêmes, mais pour ce qu’elles tui garantissaient. Il s’est donné à tout gouvernement qui consacrait la révolution, c’est-à-dire la partie pratique et usuelle de la révolution, se laissant enlever, presque ~an~ regret, le droit de suffrage, la l~~a~~t~Ia presse, la tribune, et le reste. ’Ult~~nt t assez d’armer la révolution contre la réacRou, de protéger l’égalité en remettant la révolution dans les mains d’un pouvoir fort.

Il n’aurait pas commis cette erreur an commencement,~ t789, parce que la France était

alors dans Un état philosophique, et qu’elle