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se sont montrés indépendants envers le pouvoir dont ils dépendaient. Ils honorent les hommes et les compagnies qui les ont donnés, mais ne doivent pas faire oublier les causes de défaillance inhérentes à l’institution. L’inamovibilité est une garantie insuffisante quand la certitude de ne point perdre une place médiocre est contrebalancée par la perspective de’ n’en pas gagner une meilleure. D’ailleurs, dans tout procès politique, le magistrat, même exempt de préoccupations personnelles, aura peine à se placer dans une situation complétement impartiale. Si, en eifet, ses convictions et ses sympathies l’attachent, comme il est naturel, au gouvernement qui l’a choisi, comment lorsque l’intérêt de ce gouvernement sera en cause devant lui, pourra-t-il se défendre de le favoriser ? Ne sera-t-il pas en quelque sorte juge dans sa propre cause et d’autant plus enclin à suivre son penchant, qu’il croira en le suivant servir la chose publique et même la justice ? ft est vrai que l’ancien régime avait assuré dans une assez large mesure l’indépendance des compagnies judiciaires, mais au moyen de la vénalité des charges, et nul n’est tenté d’y revenir. Si, d’ailleurs, la puissance de juger devait appartenir d’une manière permanente à nn corps qui. par une combinaison quelconque, échapperait entièrement à l’action du gouvernement et ne relèverait que de luimême. cette situation amènerait un autre danger. Un tel corps ne, pourrait manquer d’acquérir, au sein de l’Etat, une prépondérance redoutable, dont la justice, après en avoir été la cause, deviendrait l’instrument. Ce seraient bientôt les intérêts et les passions de la caste judiciaire qui dicteraient les arrêts, et peutêtre contre l’excès de puissance de cette caste, ne trouverait-on de remède que dans 1 excès de haine qu’elle finirait par inspirer. Avec le jury, on évite ces deux écueils. D est, d’une part, indépendant du pouvoir exécutif, car il est difficile, si la désignation et la convocation des jurés sont faites comme elles doivent l’être, que le gouvernement puisse exercer une action efneacc sur ces douze citoyens que le sort. rectifié par les récusations, a désignés an moment du procès, qui sont garantis contre les obsessions par des formalités protectrices, intéressés à juger selon les lois, parce qu’euxmêmes y sont soumis et pourront être jugés à leur tour, enfin d’autant plus pénétrés de la grandeur de leur rôle qu’ils sont moins habitués à le remplir. Quelle puissance, d’antre part, peuvent usurper des jurés qui n’ont qu’une mission spéciale et temporaire et se perdent dans la foule une fois cette mission remplie ? Dans ce système, le pouvoir de juger ne peut pas plus devenir l’instrument d’un tyran que le monopole d’une caste il réside dans le corps du peuple et il n’est à personne, parce qu’il appartient à tous. La jury présente en outre cet avantage de former et de développer singulièrement l’esprit public au sein dnne nation, en habituant les citoyens à remplir des devoirs publics, et en répandant dans toutes les classes l’idée du droit, la pratique de l’équité et la connaissance des lois. C’est, dit Tocqueville, « un des moyens les plus efficaces dont puisse se servir la société pour l’éducation d’un peuple. On trouvera dans l’histoire la preuve constante de l’étroite corrélation qui existe entre le jury et les libertés publiques. Quand la liberté romaine s’en allait mourant, les ~ :«B.s<o/ !M perpe<M<B tenaient une place de moins en moius grande dans les juridictions criminelles, et quand cette liberté fut complétement étouffée par le césarisme, lesjMdtCM jurati ne lui survécurent que de nom. Dans les temps modernes, le pays le plus libre est en même temps celui où le jury est le plus anciennement et le mieux établi. Aussi les esprits les plus éminents depuis Montesquieu jusqu’à Tocqueville ont-ils considéré cette institution comme un des plus fermes remparts

de la liberté, et Royer-Collard a dit à ce sujet avec grande raison Un peuple qui n’intervient pas dans les jugements peut être heureux. tranquille, bien gouverné, mais il ne s’appartient pas à lui-même il n’est pas libre, il est sous le glaive. Toute chose dans l’état social aboutit à des jugements. L’intervention des citoyens dans les jugements est donc la garantie véritable, définitive, de la liberté. Ces arguments ne laissent pas sans réponse les adversaires du jury. Suivant eux, la magistrature, bien qu’émanant du gouvernement,

n’en demeure pas moins indépendante. L’inamovibilité, la publicité des débats, le contrôle du barreau sont des garanties suffisantes contre les influences illicites. Quant au jury, s’il est placé dans des conditions favorables à l’indépendance, sous tout autre rapport et précisément en matière politique, c’est la plus détestable des juridictions. Quelle impartialité, en effet, peut-on attendre de jurés ? On comprend, quoi qu’on en ait pu dire, que le magistrat s’élève au-dessus des passions politiques. Grâce à l’existence spéciale qu’il mène, aux habitudes que son intelligence contracte au service de la justice, il peut vivre dans une sphère sereine, au-dessus du courant du monde. Mais les jurés, c’est an milieu même de ce courant que le sort va les prendre pour quelques heures, quelques jours à peine. Laisseront-ils, comme un manteau, aux portes du prétoire, leurs opinions et leurs passions ? Suivant donc que la majorité d’entre eux sera favorable on hostile au gouvernement, ils se montreront sévères à outrance ou indulgents jusqu’à la complicité ; les épreuves judiciaires ressembleront dès lors à nue loterie et deviendront une sourcé de discrédit pour la justice, d’avilissement pour le pouvoir. Le jury représente, dit-on, l’opinion publique, mais cet éloge est sa condamnation, car il contient l’aven que le jury est impressionnable et mobile comme l’opinion ; seulement celle-ci ne juge jamais en dernier ressort et les sentences du jury sont irrévocables. Si d’ailleurs rien n’est plus vanté en théorie que l’indépendance du jury, en pratique rien n’est plus difficile que d’organiser la désignation et la convocation des jurés, de manière à garantir cette indépendance. Les adversaires du jury