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CONFLIT, 174-178

du bail qui lui était soumis ; que ce jugement et cet arrêté ne font pas obstacle à ce que par le tribunal civil, il soit, conformément à l’art. 4 de la loi du 15 avril 1829, sur la pêche fluviale, statué sur la question préjudicielle de savoir si le bail passé au sieur Lambert lui donnait le droit d’exercer la pêche dans la portion litigieuse de la rivière ; que dès lors il n’y a pas de conflit négatif ;

« Art. 1er. La requête du sieur Dutour est rejetée[1]. »

Une autre décision du même tribunal, en date du 9 mai 1851 semble s’être écartée de cette règle. Mais, sans entrer ici dans les détails de cette affaire, pour lesquels il nous suffit de renvoyer à l’exposé et aux observations critiques du Recueil des arrêts du Conseil d’État (1851, p. 332), disons seulement que tel n’est point le sens de cette décision. Préoccupé surtout de la grave question du fond, le Tribunal des conflits n’a pas porté son attention sur la question, relativement secondaire, de savoir si certaines conditions de l’existence du conflit négatif se rencontraient dans l’espèce ; il n’a point entendu revenir, il n’est point revenu ainsi sans s’en douter, sur la jurisprudence à laquelle il venait, un mois auparavant, de donner sa sanction.

174. En suivant ces idées, en se pénétrant de ce principe que le conflit négatif suppose une interruption du cours de la justice par suite d’une erreur de la justice elle-même, on serait tenté de penser que, tant qu’il reste aux parties un moyen de faire redresser cette erreur par les voies ordinaires de la hiérarchie administrative ou judiciaire, la voie extraordinaire du conflit négatif doit leur être fermée ; on serait tenté de soutenir, par exemple, que, lorsqu’un tribunal civil et un conseil de préfecture ont successivement refusé de connaltre du même litige, il faut d’abord attaquer leurs décisions par la voie ordinaire de l’appel, et qu’il n’y aura conflit négatif qu’après que la cour d’appel et le Conseil d’État auront également confirmé ces deux déclarations d’incompétence. En d’autres termes, on pourrait soutenir que les décisions desquelles résultent ces déclarations doivent être, non-seulement définitives, mais en dernier ressort.

La jurisprudence n’a pourtant point admis cette conséquence extrême du principe. Sans doute il est loisible aux parties de prendre d’abord, si bon leur semble, les voies ordinaires de recours, et, si elles les épuisent sans succès, la voie extraordinaire du conflit négatif leur demeurera ouverte ; mais, si elles ne veulent pas courir les chances, subir les lenteurs et les frais de toutes ces procédures, si elles veulent faire rétablir immédiatement et avec certitude le cours de la justice, elles peuvent s’adresser au juge du conflit négatif, encore bien que les deux déclarations d’incompétence ne soient pas en dernier ressort, et pourvu que les autres conditions de ce conflit soient d’ailleurs remplies.

La question n’a pas été soulevée d’une manière formelle devant le Conseil d’État mais elle y a été implicitement résolue en ce sens par une pratique constante. Il suffit de citer, comme exemple, une décision du 15 juin 1847, vidant un conflit négatif qui résultait de déclarations d’incompétences définitives, mais non en dernier ressort, émanées, l’une du tribunal de première instance de Versailles, l’autre du conseil de préfecture de Seine-et-Oise[2].

Sect. 2. Du règlement du conflit négatif.

175. Ainsi que nous l’avons dit, le conflit négatif provient, non d’un empiétement que l’autorité judiciaire commettrait sur l’autorité administrative, mais de ce que chacune de ces autorités refuse également de connattre d’une certaine question. Cette situation ne porte aucune atteinte au principe général de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs elle n’exige donc ni ne comporte les mêmes procédés, le même mode de décision que le conflit positif ; l’intérêt privé des parties souffre seul, au moins en thèse générale et dans les matières ordinaires, de cet état de choses, et c’est à lui qu’il faut laisser le soin d’aviser à rétablir, si bon lui semble, le cours de la justice, interrrompu à son détriment.

176. De là il suit d’abord que le préfet n’a pas à intervenir, en cette qualité, pour élever le conflit négatif ce conflit se constitue de lui-même par la double déclaration d’incompétence qu’il suppose, et c’est aux parties intéressées, si elles persistent dans leur action, si elles persistent à chercher des juges, qu’il appartient de faire vider le conflit. (3 septembre 1823, 24 mars 1824, 12 janvier 1825, 11 janvier 1826, etc.)

177. De là il suit encore que le conflit négatif constitue une affaire contentieuse, à l’instruction et au jugement de laquelle il y a lieu d’appliquer, sauf quelques restrictions, les règles ordinaires de la procédure propre à cette espèce d’affaires. Il en était ainsi avant l’ordonnance réglementaire du 12 décembre 1821 : l’art. 8 de cette ordonnance, que nous avons cité ci-dessus (n° 170), a consacré cette pratique, qui a été maintenue sans modification jusqu’à l’époque où le Tribunal des conflits a été appelé à connaître des conflits négatifs. À cette époque, la juridiction fut changée, comme pour les conflits positifs ; mais le recours dut continuer à être exercé directement par les parties (art. 17 du règlement du 26 oct. 1849), et la procédure demeura la même. Depuis 1852, les conflits négatifs sont rentrés, comme les autres, dans les attributions de la section du contentieux du Conseil d’État, qui en a repris l’instruction dans les formes ordinaires. Enfin, ainsi que nous l’avons dit, le règlement du 26 octobre 1849 a été remis en vigueur par la loi du 24 mai 1872.

178. Il existe pourtant, sous ce rapport, quelques différences entre les conflits négatifs et les affaires contentieuses ordinaires ces différences dérivent de la nature même des choses.

D’abord l’art. 11 du règlement du 22 juillet 1806, qui limite à trois mois le délai du recours au Conseil d’État, n’est pas applicable aux conflits négatifs. La fixation d’un délai fatal est impossible dans ce cas : car l’expiration de ce délai ne rétablirait pas le cours de la justice, et cependant il

  1. Voyez aussi en ce sens une décision du Tribunal actuel des conflits, du 7 mars 1874.
  2. De même, en matière judiciaire, on peut prendre la voie du règlement de juges sans avoir épuisé tous les degrés de juridiction. Voyez en ce sens un arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 1838 (Sirey. 38, 1. 377). Voyez aussi M. Serrigny, tome 1er, no 212.