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CONFLIT, 172-173

tenter une certaine action devant les tribunaux, en se fondant sur ce que la connaissance» de cette action appartient à l’autorité judiciaire ; puis le tribunal saisi se déclare incompétent ; y a-t-il là conflit négatif ? Pour soutenir l’affirmative, on a dit que l’on rencontrait dans de telles circonstances les deux déclarations d’incompétence desquelles résulte ce conflit ; qu’à la vérité celle du conseil de préfecture n’était consignée que dans les motifs de sa décision, mais qu’il serait à la fois onéreqx pour les parties et presque puéril d’obliger ce conseil de préfecture à répéter une seconde fois, en une autre qualité, la déclaration qu’il avait déjà donnée une première fois, à un autre titre, dans la même affaire. Ces considérations ne manquaient pas de force cependant elles n’ont pas prévalu, elles ne devaient pas prévaloir devant le Conseil d’État. L’arrêté qui se borne à accorder à une commune l’autorisation de plaider devant les tribunaux n’est pas un acte de juridiction, mais de simple tutelle il ne constitue pas, quels que soient ses motifs, une décision sur le fond du litige : s’il la contenait dans son dispositif, il serait entaché d’excès de pouvoir : il n’a donc aucun des caractères de la chose jugée, ni vis-à-vis de la commune, ni vis-à-vis de l’autorité judiciaire, ni vis-à-vis du conseil de préfecture lui-même, qui, s’il vient à être saisi du litige comme juge, ne sera en aucune façon lié par, cet acte antérieur. Le Conseil d’État a donc décidé qu’il n’y a pas, dans ce cas, conflit négatif. (12 janv. 1825.)

En serait-il de même si le conseil de préfecture, au lieu d’accorder à la commune l’autorisation de porter son action devant les tribunaux, lui avait refusé cette autorisation, en se fondant sur ce que la connaissance du litige n’appartiendrait pas à l’autorité judiciaire, et si, saisi ensuite comme juge, il s’était déclaré incompétent ? Pourrait-on dire que sans doute il n’y a pas là les deux déclarations d’incompétence ordinairement exigées, mais que le refus d’autorisation empêche de s’adresser à l’autorité judiciaire, et que dès lors ce refus doit être assimilé à une déclaration d’incompétence émanée de cette autorité ? Même alors la commune ne serait pas réduite à l’impossibilité complète de trouver des juges ; car elle pourrait déférer au Conseil d’État, par la voie contentieuse proprement dite, l’arrêté par lequel le conseil de préfecture se serait déclaré incompétent. Mais, abstraction faite de cette faculté qui ne suffirait pas, comme nous le verrons (n° 174), pour empêcher l’existence du conflit négatif, il nous semble que l’hypothèse que nous venons de poser ne constituerait pas un conflit de cette nature car l’assimilation proposée dans ce système est absolument inadmissible, et la situation dans laquelle la commune se trouverait ne serait, après tout, que la conséquence de son état d’incapacité relative, qui ne lui permet pas de plaider, sans autorisation, devant l’autorité judiciaire.

La question s’est présentée dans ces termes devant le Conseil d’État mais la décision intervenue, en date du 21 janvier 1847, ne nous parait pas l’avoir résolue. Cette décision est ainsi conçue :

« Considérant que notre ordonnance du 11 février 1842, qui refuse à la ville d’Avignon l’autorisation d’ester en justice[1], et l’arrêté du conseil de préfecture du 2 novembre 1842, par lequel ledit conseil de préfecture se déclare incompétent, ne font nullement obstacle à ce que les contestations existant entre la ville d’Avignon et la maison royale de santé de cette ville, relatives à la restitution faite par l’État dudit hospice, nous soient déférées en notre Conseil par la voie contentieuse et que, par conséquent, il ne résulte pas de ces deux décisions un conflit négatif ;

« Art. 1er . La requête de la ville d’Avignon est rejetée. »

En s’attachant exclusivement au mot décisions, on pourrait croire que le Conseil d’État a considéré l’ordonnance du 11 février 1842 comme un acte de juridiction, comme équivalant à une déclaration d’incompétence émanée de l’autorité judiciaire ellemême. Cependant cette induction nous semblerait peu sûre ; car, quelque caractère qu’il assignat à l’ordonnance dont il s’agit, le Conseil d’État pouvait toujours arriver au même résultat, c’est-àdire à constater qu’il n’y avait pas conflit négatif, puisque l’autorité qui lui paraissait réellement compétente n’avait pas encore été saisie. Ceci nous amène à une autre des conditions essentielles de l’existence du conflit négatif.

173. Ce conflit n’existe pas par cela seul que deux autorités, l’une administrative, l’autre judiciaire, se sont déclarées incompétentes pour connaltre de la même question. Si, par exemple, les parties ont saisi successivement un tribunal de commerce et un conseil de préfecture, alors que le litige rentrait dans la compétence, soit d’un tribunal civil, soit d’un ministre, c’est avec raison que les deux juridictions saisies se sont déclarées incompétentes ce n’est pas la justice qui, par l’erreur de ses organes, fait défaut aux justiciables ; ce sont les justiciables eux-mêmes qui se sont trompés en ne s’adressant pas à la juridiction qu’ils devaient saisir. Ainsi, pour qu’il y ait conflit, il faut non-seulement que deux autorités, l’une administrative, l’autre judiciaire, aient refusé de connattre de la même question, mais encore que l’une d’elles fût réellement compétente pour en connaltre et que les parties se trouvent momentanément sans juge, non par leur fait, mais par le fait de cette autorité.

Une décision du Tribunal des conflits, du 29 mars 1851, a fait l’application de ce principe, déjà constant dans la jurisprudence antérieure du Conseil d’État. Cette décision est ainsi conçue :

« Considérant que, quels que soient les motifs énoncés dans son jugement du 30 avril 1850, le tribunal de police correctionnelle de Châtellerault[2] a sursis à statuer jusqu’à ce qu’il ait été procédé par l’autorité compétente à l’interprétation du bail administratif consenti au profit de Lambert ; que par arrêté en date du 16 août 1850 le conseil de préfecture de la Vienne s’est déclaré incompétent pour connaître de la question d’interprétation

  1. Cette ordonnance confirmait un arrêté par lequel le conseil de préfecture avait déjà refusé la même autorisation, se fondant sur ce que la connaissance de l’action n’appartenait pas à l’autorité judiciaire.
  2. Saisi d’une poursuite dirigée par le sieur Dutour, adjudicataire d’un cantonnement de pêche dans la Vienne, contre le sieur Lambert, adjudicataire d’un autre cantonnement, et à l’occasion de laquelle s’élevait la question préjudicielle de savoir quelles étaient les limites de ces cantonnements.