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CONFLIT, 74-78

faite de quelques-unes des considérations secondaires qui paraissent avoir été invoquées dans cette discussion, il suffit de se rappeler que le conflit n’est pas un moyen général de maintenir l’ordre des compétences, mais seulement un moyen spécial, confié à l’administration seule, de défendre ses prérogatives contre les empiétements possibles de l’autorité judiciaire ; de là il suit clairement que l’exercice de ce pouvoir doit être exclusivement remis à un agent de l’administration, et, ce point admis, le préfet est, parmi les fonctionnaires administratifs, celui qui se présente le plus naturellement à la pensée.

74. On a donc, depuis longtemps, cessé de se demander, par exemple, si les conseils de préfecture peuvent élever le conflit. Le Conseil d’État avait quelquefois décidé l’affirmative avant l’arrêté du 13 brumaire an X, et même après cet arrêté ; mais sa jurisprudence s’est ensuite formée en sens contraire, bien avant 1828. (23 janv. 1814, 9 avril 1817.)

75. On pourrait cependant revendiquer ce droit pour les ministres car ils sont les supérieurs hiérarchiques des préfets, et dès lors ils devraient être reçus à défendre eux-mêmes des prérogatives dont ils sont les gardiens les plus élevés. On le pourrait d’autant mieux, qu’en fait il n’y a pas de préfet qui n’élève le conflit, quelle que puisse être son opinion personnelle, toutes les fois que le ministre compétent lui en adresse l’invitation cette invitation, dit M. Bodlatignier tp. 488), est naturellement considérée comme un ordre contre lequel le droit d’observation existe, mais auquel. en définitive on est tenu d’obtempérer, et c’est ainsi que les choses se passent dans la pratique. Il serait donc tout simple d’autoriser les ministres à exercer directement un pouvoir qu’ils exercent indirectement et que les principes mêmes de l’organisation administrative ne permettent pas de leur contester, au moins sous cette dernière forme. L’intervention du préfet est assurément plus expéditive et plus commode dans la plupart des cas celle des ministres ne devrait pas lui être substituée comme règle habituelle et générale mais l’action du ministre, quand il jugerait à propos d’intervenir lui-même, devrait absorber et remplacer celle du préfet, et il est facile d’apercevoir qu’aucun inconvénient sérieux ne pourrait résulter de cette concurrence ou plutôt de cette prééminence.

Quoi qu’il en soit, tel n’est pas le système de l’ordonnance de 1828 les ministres mêmes ne peuvent pas élever le conflit ; les préfets seuls sont investis de ce droit, sauf, on le répète, la faculté qui appartient à chaque ministre, dans les matières de sa compétence, de provoquer et même de prescrire l’intervention du préfet.

76. Si le préfet n’a pas, en fait, vis-à-vis des ministres une indépendance complète dans l’appréciation des circonstances qui peuvent exiger ou comporter l’exercice du conflit, il la retrouve et la conserve tout entière à tous autres égards, et notamment vis-à-vis des parties privées.

Cependant, avant 1821, le Conseil d’État avait décidé (voy. notamment 6 déc. 1820) que, lorsque le préfet, sur la demande qui lui en était faite par une partie, se refusait à élever le conflit, ce refus pouvait donner lieu à un recours par la voie contentieuse.

Une telle doctrine pouvait, jusqu’à un certain point, trouver son explication et sa base dans les règles qui admettaient alors l’intervention des parties en matière de conflit, et qui, ainsi que nous le verrons plus loin, assimilaient les conflits aux affaires contentieuses proprement dites i1 paraissait logique et naturel, dans cet état de choses, de reconnattre aux parties une action pour obtenir, à titre de droit, par la voie juridique, les juges qu’elles se croyaient fondées à réclamer, et, par suite, pour forcer au besoin l’intervention du fonctionnaire qui pouvait seul leur faire atteindre ce but. Mais un avis des comités réunis de législation et du contentieux, en date du 18 janvier 1821, intervenu à propos d’une question spéciale d’enregistrement[1], remit en lumière le véritable caractère du conflit il établit que les décisions rendues en cette matière sont des actes de haute administration, alors même que les parties ont été entendues. Cet avis a établi ou plutôt rétabli une doctrine aussi élevée que féconde en matière de conflits aussi, quoique le Conseil d’État n’ait pas eu, depuis cette époque, à se prononcer sur la question indiquée, il n’est pas permis de douter que, le cas échéant, elle n’eût reçu une tout autre solution. Nous n’entendons pas dire que la partie intéressée ne pût, aujourd’hui encore, appeler l’attention du préfet et provoquer son intervention nous n’entendons pas dire que, sur le refus du préfet, elle ne pût s’adresser au ministre, et que celui-ci ne pût, s’il le jugeait convenable, inviter le préfet à agir. Mais il n’y aurait là que l’usage de la faculté générale qui appartient à tous les citoyens, en cette qualité, de signaler à l’administration les faits propres à éveiller sa sollicitude et à réclamer son intervention, sauf l’appréciation discrétionnaire que fait, en pareil cas, l’administration elle-même, et sauf son droit de ne donner aucune suite et même de ne faire aucune réponse à de tels avertissements il n’y aurait pas là l’exercice d’un droit individuel, pouvant réclamer une décision formelle et pouvant déférer cette décision au juge suprême du contentieux administratif. Si donc une demande de cette nature n’aboutissait qu’à un refus, ce refus ne donnerait lieu à aucun recours par la voie contentieuse la partie qui croirait être appelée devant un juge incompétent, n’aurait dans ce cas que la ressource ordinaire de proposer cette, incompétence devant ce juge même et selon les diverses voies d’action et de recours organisées dans la hiérarchie judiciaire.

ART. 2. DU PRÉFET DE POLICE ET DES PRÉFETS MARITIMES.

77. Les dispositions de l’arrêté de l’an X et de l’ordonnance de 1828 sur le point qui nous occupe ont donné lieu, dans la jurisprudence, à deux ordres de questions. On s’est demandé 1o si les préfets des départements pouvaient seuls élever le conflit, à l’exclusion, soit du préfet de police à Paris, soit des préfets maritimes ; 2o quelles sont les règles de la compétence territoriale de ces fonctionnaires en cette matière.

78. Pendant de longues années, le Conseil d’État avait reconnu au préfet de police le droit d’élever

  1. Voy au no 136, infra.