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CENTRALISATION ET DÉCENTR.

Elle aurait été mieux employée, si, au lieu de réclamer des dispositions de lois qui restaient parfois lettre morte, on avait stimulé les citoyens à prendre intérêt aux questions municipales et départementales. Il vaut mieux que l’activité civique ait un vaste champ devant elle ; mais le travail dans un étroit enclos n’est pas moins sain. Or les déclamations de certains publicistes ou orateurs ne pouvaient que décourager les hommes disposés à se vouer au service municipal ; on parlait avec trop de mépris de ce que nous avions pour qu’on pût se sentir attiré vers ces fonctions honorifiques. Actuellement, il faut l’espérer, on s’occupera moins de rechercher des attributions nouvelles, que de bien remplir celles qu’on a, et on s’efforcera à inspirer plus d’intérêt aux populations pour leurs affaires municipales. C’est à raison de l’intérêt qu’on porte à ces matières qu’on obtient des pouvoirs ; jamais le Gouvernement ne résiste à la pression de l’opinion, car il se compose de nos concitoyens et les arguments qui ont agi sur notre esprit, ne manqueront pas de s’emparer du leur. La noblesse n’a-t-elle pas fait, le 4 août 1789, le sacrifice de ses priviléges, uniquement parce qu’elle était entraînée par le courant ?

Sect. 2. — Les attributions naturelles des communes.

Tous les hommes d’État et publicistes sont d’accord pour reconnaître que la commune a des attributions naturelles, c’est-à-dire qu’il est conforme à la nature des choses que certains services publics soient confiés à ses fonctionnaires. Il est naturel, par exemple, que la commune se procure, comme elle l’entend, l’eau, l’éclairage, le balayage et bien autre chose encore, mais on n’est pas d’accord sur le degré de contrôle, de tutelle même, que l’État doit exercer sur les communes. Un certain nombre d’auteurs, sans doute pour rendre la commune plus intéressante, la représentent — contrairement à l’histoire — comme l’embryon de l’État. Or, il est évident que l’État est nécessairement antérieur à la commune, car l’État commence par être petit : une famille indépendante devient une tribu, la tribu se constitue en cité. Cité voulait d’abord dire État. Une ville indépendante n’est pas une commune, mais un État. Lorsque la Ville-État s’agrandit, elle fonde des colonies, qui sont des communautés (communes) dépendantes de la métropole, ou aussi elle fait des conquêtes, et les villes assujetties deviennent des communes[1]. Voilà le fait historique. Quant au fait actuel, il peut se résumer en cette proposition que le législateur français et, comme lui, les législateurs de tous les pays considèrent en fait la commune comme une simple division administrative du territoire. La loi fait et défait les communes, la loi leur donne la quantité de pouvoir jugé utile… à l’État, la loi se réserve le dernier mot dans tous les cas importants. Ni les communes suisses, ni les communes belges, ni les communes anglaises, ni les communes américaines — nous ne citons que les pays réputés, à tort ou à raison, les plus libres — ne sont souveraines. New-York et Boston sont à peu près autant en tutelle que Paris, et s’il y a une différence, elle est en faveur de notre capitale.

N’offrant qu’un court article, nous ne saurions établir ici dans quelle mesure la tutelle ou le contrôle, l’une et l’autre, peuvent être justifiés, et à quoi la tutelle doit se borner ; mais nous devons indiquer les raisons invoquées en faveur de la limitation des pouvoirs municipaux. Nous avertissons le lecteur que nous sommes loin d’attribuer une égale valeur à ces raisons, nous les exposons toutes, pour être complet :

1° L’Etat doit s’occuper des générations futures. Les habitants actuels de la commune peuvent engager l’avenir d’une manière dangereuse, l’État est le tuteur suprême des enfants, c’est leur intérêt qu’il prend en main. C’est à eux qu’il pense lorsqu’il surveille l’emploi de la fortune communale, la vente et l’achat de propriétés, lorsqu’il interdit ou autorise le partage des communaux, ou lorsqu’il réglemente les emprunts.

2° Le Gouvernement, gardien des intérêts généraux, doit prévenir les conflits entre les intérêts généraux et les intérêts d’une localité ; au besoin, c’est la dernière qui doit céder. Ce conflit peut s’élever en matière de police ou de sécurité publique ; en matière de finances — c’est pourquoi on empêche les communes à imposer telle denrée que l’État se réserve de taxer (voy. Octroi), ou dont l’intérêt public réclame la franchise de droits ; en matière de travaux publics, pour que le réseau des routes satisfasse aux besoins généraux, sans compter les autres cas qui peuvent se présenter. On doit peut-être mentionner ici les nécessités de l’instruction publique.

3° L’État a besoin d’agents d’exécution dans la localité. Le mieux est que les fonctionnaires communaux soient en même temps les agents de l’État, il faut donc qu’il ait autorité sur eux. Nous avons déjà dit que nous n’entrons pas dans les détails, aussi n’indiquons-nous pas la mesure de cette autorité.

4° La tutelle se justifie quelquefois par le manque de capacité de beaucoup d’administrateurs locaux. Mais ici on répond que les petites communes n’ont que de petits intérêts, par conséquent il ne faut pas beaucoup de capacité pour les administrer. Quant aux grandes communes, on a le choix du personnel, les hommes capables n’y manquent pas, et, au besoin, on peut payer des employés intelligents. Aussi recommande-t-on de faire deux lois communales, une pour les villes, l’autre pour les villages. Cette double législation existe en Amérique, en Angleterre, en Allemagne et dans plusieurs autres pays. La loi municipale de 1855 l’a introduite en France, mais dans un sens opposé : en réduisant les pouvoirs des villes de 40,000 âmes et au-dessus.

5° Ceci nous amène à parler d’un autre motif pour les restrictions, c’est la crainte de l’abus que certaines grandes villes peuvent faire de leur force. Nous ne savons, ce qui est plus malheureux, que l’État traite en suspect une ville qui ne le mérite pas, ou que les villes qui devraient être des foyers de lumières deviennent des centres de perturbation.

Il résulte de ce qui précède, que les attributions naturelles des communes sont doubles l’administration des intérêts locaux, la coopération à l’exécution des lois générales.

  1. Voy., pour plus de détails, notre Dictionnaire général de la Politique (Paris, Lorenz), au mot Tutelle administrative.