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CENTRALISATION ET DÉCENTR.

servitude, et par le désordre financier à la ruine et à la banqueroute[1]. »

D’un autre côté, le pouvoir central ,sous prétexte de maintenir l’ordre, a mis la main sur un nombre illimité d’intérêts, et s’est substitué aux pouvoirs locaux dans une foule de cas. Il n’est pas pour ainsi dire une action dans la vie qui ne touche au bon ordre ; de quelle autorité le Gouvernement ne serait-il pas investi si l’on prétendait lui abandonner de si vastes intérêts ? Ici le problème à résoudre consiste moins à fixer les limites de son pouvoir, qu’à déterminer quel doit être à cet égard le principe de la législation. Deux systèmes sont en présence : l’un, le système préventif, ne laisse aux citoyens la faculté de faire certains actes, d’ouvrir certains établissements, de se livrer à telle ou telle profession, qu’avec la permission de l’autorité publique. L’autre, le système répressif, trace les devoirs prescrits aux citoyens : il les soumet à des conditions réglées en termes généraux, et quiconque les enfreint encourt les peines édictées par la loi.

« Entre ces deux systèmes le choix ne saurait être douteux. Le second seul satisfait à la liberté et à la dignité de l’homme. Que deviennent des citoyens dépourvus du droit d’exercer leurs facultés et assujettis en tant de choses au bon plaisir du Gouvernement ?… Le caractère dominant du système préventif est la défiance, sentiment supérieur pour ceux qui le font naître, humiliant pour le peuple dont la législation s’en inspire. La défiance contre les individus conduit à une confiance absolue envers le Gouvernement. Sur quelles bases cette confiance ? Serait-il donc vrai qu’il n’y a de sagesse, de prévoyance, de lumières que dans les dépositaires de la puissance publique. Étrange contradiction. C’est le citoyen que sa raison éclaire, que son intérêt dirige, que la loi avertit, c’est le citoyen qui est suspect. C’est le Gouvernement que tant d’illusions peuvent égarer, qui ne peut avoir que des vues générales, et n’est pas en état de pénétrer avec sollicitude et clairvoyance dans les questions purement privées, qui est chargé du soin de faire les affaires des citoyens. »

Mais est-on bien assuré de consolider le Gouvernement en lui remettant des devoirs si pressants ? « C’est le contraire qui est vrai. Il n’y a pas, pour l’autorité publique, de plus grande cause de faiblesse que l’exercice du régime préventif. Elle devient responsable de toutes les choses où elle a mis la main, des autorisations qu’elle accorde et de celles qu’elle refuse. Elle est le point de mire de toutes les plaintes et la cause supposée de toutes les souffrances… Les faveurs qu’elle concède soulèvent le soupçon, entretiennent l’envie et fomentent les inimitiés, aliment fécond des révolutions. De leur côté, les citoyens perdent l’habitude de se fier à eux-mêmes, ils s’imaginent que le Gouvernement, mêlé à leurs affaires, les dispense du calcul et de la prudence. On ne compte plus sur ses propres efforts, sur son labeur, sur son activité…

« Resserrer le système préventif dans les bornes les plus étroites, n’y recourir que quand la sûreté publique l’ordonne, serait un des plus heureux correctifs de la centralisation. Elle gagnerait également en importance ce qu’elle pourrait perdre en puissance exécutive, si la police active était laissée dans une plus grande mesure aux pouvoirs locaux. C’est à eux principalement qu’elle doit être dévolue. Il est nécessaire qu’elle soit faite de près, par ceux qui connaissent les individus, qui sont au courant des besoins. En ce point le rôle du pouvoir central doit être plus de surveillance que d’action, et de direction que de commandement… Il ne doit se montrer que pour suppléer a l’inertie ou au mauvais vouloir du pouvoir local, et quand la sécurité publique dont il répond lui en fait un devoir. »

Dans l’administration générale, la législation n’aurait qu’à réduire dans quelques objets de détails le domaine de la centralisation. « Mais si le principe doit être maintenu, l’application en soulève les objections les plus fondées. La propension naturelle de tous les pouvoirs à s’accroître, le goût de la domination, la vanité qu’inspire une autorité discrétionnaire, la paresse des agents, les habitudes du public, tout a contribué à faire de la centralisation, en beaucoup d’occasions, un obstacle, une entrave, une source de difficultés et de lenteurs… Son vice principal est la lenteur, et ce vice tient à une idée fausse. De ce que l’action administrative doit venir du centre, on conclut que toutes les affaires doivent passer par les mains de l’administration centrale. Il n’est pas nécessaire que les agents placés au centre du Gouvernement participent directement et personnellement à tous les faits administratifs. Ses délégués locaux doivent être les confidents de sa pensée et les organes de sa volonté. À l’aide des instructions, de la surveillance, des rapports, le Gouvernement peut, dans beaucoup de cas, assurer l’exécution des lois et pourvoir aux services publics.

« C’est moins le principe de la centralisation qu’il convient de contester, que les formes qu’il est nécessaire de corriger. Simplifier ces formes, supprimer tout ce qui retarde la décision sans l’éclairer, enfermer l’administration dans des délais de rigueur, ne lui remettre que ce qui appelle absolument son contrôle, n’adopter qu’exceptionnellement et dans des cas graves, le système des autorisations préalables, telles sont les précautions qui peuvent la justifier. Ses ennemis les plus dangereux sont ceux qui la rendent intolérable en l’exagérant, et si quelque chose pouvait la faire périr, ce serait cette exagération. »

Sect. 4. — Opinion de M. Odilon Barrot.'

Cette opinion est exprimée dans un opuscule intitulé : De la Centralisation et de ses effets (nouvelle édition, Paris, Didier 1870). Nous citons le plus souvent possible ses propres paroles.

« Il est impossible de concevoir une société sans une centralisation quelconque ; car toute société se forme nécessairement d’une certaine portion de forces individuelles déléguées et centralisées (p. 17)… Il faut reconnaître également qu’il y a de ces moments de crise et de danger suprême où la concentration de tous les pouvoirs dans les mêmes mains devient une nécessité… Il n’y a donc dans une pareille matière qu’une question de temps et de mesure.

  1. Les meilleures constitutions ne sont toujours que des mécanismes, c’est-à-dire des instruments inertes par eux-mêmes : tout dépend de la manière de s’en servir. M. B.