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miné, il m’en cède l’usage, j’aurai à lui payer cet usage sous le nom d’intérêt, je deviendrai son débiteur.

Ainsi, la condition du salarié et celle du débiteur tirent toutes deux leur origine de ce fait que les moyens de travail sont exclusivement possédés par quelques-uns, au lieu d’être à la disposition de tous. Or, en principe, cela est-il juste ? Est-il juste que tous ayant apporté, en naissant, le droit à la vie, le pouvoir de réaliser ce droit soit concentré aux mains de quelques-uns, de telle sorte que l’espèce humaine se trouve divisée en deux classes d’hommes dont les uns vendent la vie, que les autres sont réduits à acheter ? Voilà la question.

Tout service, dites-vous, appelle une rémunération, et qui prête rend un service. Mais le point à éclaircir, ne l’oubliez pas, est celui-ci : Comment les uns ont-ils acquis la faculté de rendre ce service, et pourquoi les autres sont-ils dans l’obligation absolue de le demander ?

Le capital, va certainement s’écrier M. Bastiat, n’est que du travail accumulé ; en rémunérant le capital, c’est le travail, au fond, qu’on rémunère. Un instant ! ce n’est pas à une matière inerte qu’on paye l’intérêt, c’est à un être vivant ; ce n’est pas au capital considéré abstractivement et d’une manière générale, c’est à un capitaliste en chair et en os, c’est à un homme comme vous et moi, que je nomme Pierre ou Paul. Donc, pour décider, quand Pierre se fait prêteur, de la légitimité de l’intérêt, il s’agit de savoir, non pas si le capital est le fruit du travail, mais si en prêtant son capital, Pierre prête le fruit de son travail. Car, admettons qu’en me cédant, temporairement et à des conditions onéreuses, l’usage de ce qui m’est indispensable pour travailler, il ne fît que me céder une partie de ce qui, originairement, m’appartenait en ma seule qualité d’homme, où serait le service ? Eh ! ce ne serait pas même une restitution.

Je suppose qu’un joueur à la hausse ait gagné, au moyen de quelque criminel mensonge habilement propagé, une somme d’argent représentant un capital, lequel correspondrait au labeur de mille ouvriers employés pendant un an à deux francs par jour. Grâce à l’intérêt qu’on lui payera du capital acquis de la sorte, notre homme vivra sans rien faire, prendra du bon temps et se donnera des indigestions, De plus, ceux qui lui payeront l’intérêt de ses