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Mais si ce système était le plus simple, s’il avait l’avantage de réduire l’intérêt de la dette sans en augmenter le capital ; s’il allégeait les charges du présent et n’empiétait point sur l’avenir, n’offrait-il pas en revanche un grave danger ? C’est ce que fit ressortir avec beaucoup de force et d’autorité un financier célèbre, M. Jacques Laffitte. Que l’État, disait-il, propose aux rentiers de les rembourser, il en a le droit assurément, mais il a le plus pressant intérêt à ce que ses créanciers actuels demeurent dans la rente en subissant la conversion. Quel embarras en effet pour le trésor, si, chassés tumultueusement de la Bourse, les rentiers se décidaient tous pour le remboursement ! Pressé, accablé, l’État serait-il en mesure de faire face à toutes les demandes ? Non, bien évidemment. Et alors quelles clameurs ! quelle panique ! Une pareille crise pouvait devenir terrible, et c’était le comble de l’imprudence que de l’affronter. M. Jacques Laffitte concluait de là que, tout en réduisant les rentes, il fallait ménager à leurs possesseurs un attrait qui les portât à préférer la conversion au remboursement. Et cet attrait, il le trouvait dans l’émission du 3 1/2 pour 100 à 85 fr. 35, parce que, dans ce système, les rentiers avaient pour se consoler de la diminution de leur revenu, l’espoir de gagner un jour sur le capital, tandis que la conversion au pair leur imposait une perte sans compensation[1].

  1. Dans la système soutenu par M. Laffitte, le rentier aurait pu dire : « Si j’exige de l’État qu’il me rembourse, je me verrai en possession d’un capital que j’aurai peut-être de la peine à placer ou que je placerai mal. Eh bien, l’État m’offre pour un capital de 83 fr. 33, une rente de 3 fr. 1/2, c’est comme s’il m’offrait, pour un capital de 100 fr., une rente de 4 fr. 20 c. Au lieu de 5 fr. que je touche aujourd’hui, je ne toucherai donc plus que 4 fr.É20. Mais, en revanche, les rentes 3 1/2 que je vais posséder, et qui ne valent en ce moment que 83 fr. 33 c. vaudront davantage dans quelque temps, puisque dans les époques de paix et de calme, tes rentes tendent toujours à la hausse, surtout quand elles ne sont pas au-dessus du pair, comme les rentes 5 pour 0/0. Donc, en me résignant à perdre momentanément quelque chose sur tes intérêts, je me prépare la chance heureuse et presque certaine de gagner beaucoup sur le capital, quand il me plaira de vendre mes rentes. »

    Dans le système soutenu par M. Garnier-Pagès, le rentier se trouvait dans une position bien différente. Car, à la place de sa rente de 5 fr., on lui en offrait une moindre et qui avait déjà atteint le pair. Or, il y a deux raisons pour que des rentes au pair ne soient pas susceptibles d’une grande hausse. La première, c’est que, pour des motifs qu’on verra plus bas, il a été interdit à l’amortissement de les racheter, aussitôt qu’elles ont dépassé le pair ; et l’on sait que le prix d’une marchandise s’élève d’autant moins qu’elle a moins d’acheteurs. La seconde, c’est que les rentes qui ont dépassé le niveau du pair se trouvent par cela seul menacées d’une conversion prochaine, ce qui tend à tes discréditer.