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pour le loyer de la maison et l’achat du bois de la machine. Du reste, le dénonciateur niait la complicité de Victor Boireau, si fortement compromis dès l’origine et, pour ce qui est de Bescher, on n’avait à lui reprocher que d’avoir prêté à Fieschi, sur la prière de Morey, son livret et son passeport.

Tel était l’état des choses lorsque, le 30 janvier 1836, comme nous l’avons dit, les débats s’ouvrirent.

Morey s’y montra jusqu’au bout ce qu’on l’avait vu d’abord. Il y avait dans l’attitude de ce vieillard quelque chose de terrible et de singulier. Au milieu de tant d’hommes diversement émus, seul il ne témoignait ni haine, ni inquiétude, ni étonnement, ni colère, ni pitié. Toujours taciturne, toujours immobile, il n’appartenait à l’assemblée que lorsqu’on l’interrogeait. Il répondait alors pour nier ce dont il était accusé, mais cela froidement, en peu de mots, sans ostentation, sans embarras sans insistance. Hautement dénoncé par Fieschi, il ne sortit pas un instant de cette impassibilité extraordinaire. Son front resta de glace, et l’on ne surprit pas même sur ses lèvres le sourire du dédain.

Pépin, au contraire, passait tour-à-tour d’une agitation fébrile à un morne accablement. À la moindre question, il se troublait, promenait sur l’assemblée des yeux suppliants et remplis de larmes, parlait de sa femme, de ses quatre enfants, et balbutiait des paroles étranges, évidemment dictées par l’égarement de la peur. Je suis innocent, disait-il sans cesse. Il ajoutait qu’il était victime d’un complot infernal, qu’on avait juré de le perdre. Puis, il retombait sur son banc, épuisé, anéanti.