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colère prit sourdement place à côté du désespoir. La crise était donc devenue imminente : une réduction de vingt-cinq centimes par aune sur le prix des peluches la précipita. Réduction peu considérable en elle-même, mais qui portait sur un salaire déjà insuffisant, et qui, ouvrant carrière à des empiétements plus funestes, n’était qu’une première application de la loi du plus fort ! Les ouvriers en peluches invoquèrent l’appui de leurs frères des autres catégories ; et alors, obéissant au principe de solidarité, la société mutuelliste mit en question la suspension générale des métiers.

Envisagée dans ses résultats matériels, la mesure était désastreuse ; considérée dans son principe moral, elle avait quelque chose de singulièrement élevé. Quoi de plus touchant que de voir cinquante mille ouvriers suspendre tout-à-coup les travaux qui les faisaient vivre et se résigner aux privations les plus dures, pour garantir de toute atteinte douze cents de leurs frères les plus malheureux ! Aussi bien, une détermination semblable, s’il eût été possible aux ouvriers de la soutenir, avait une incalculable portée. Par rapport à la classe ouvrière, c’était la théorie de l’association appliquée sur une grande échelle et au prix de sacrifices qui en rendaient l’effet plus imposant. Par rapport à la bourgeoisie, c’était une démonstration terrible, mais péremptoire, des vices d’un régime industriel qui, fondé sur un antagonisme de tous les instants, ne vit que par le perpétuel triomphe du fort sur le faible, et entretient une hostilité flagrante entre ces deux éléments de la production : le capital et le travail.