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l’âge mur, finit par s’imprégner de fiel, souvent dégénère en ambition, et va se perdre dans les violences d’une démagogie sans principes. Buonarotti aimait le peuple, il n’avait cessé de conspirer pour lui, mais avec la défiance d’un observateur expérimenté et le calme d’un philosophe, étudiant les hommes avant de se livrer à eux, armé d’une clairvoyance qui touchait au soupçon, circonspect dans le choix de ses alliés, et tenant à leur nombre beaucoup moins qu’à la sincérité de leur dévoûment. Témoin de notre première révolution, dont il fut sur le point d’être martyr, camarade de lit de Bonaparte pendant sa jeunesse, il avait deviné le nouveau César, et n’ignorait point par quelle pente on va de la liberté au despotisme, des agitations du forum à la discipline des camps. Il savait aussi que, souvent, aux meilleures causes, ceux qui les servent nuisent plus que ceux qui les combattent. Qu’avec de pareilles façons de voir, Buonarotti ne soit pas devenu, en France, où il s’était fixé, le centre d’un parti bruyant, et n’ait fait que traverser, presqu’inaperçu, la scène politique, on le conçoit. Et toutefois, son action était loin d’être sans puissance. Pauvre, et réduit pour vivre à donner quelques leçons de musique, du fond de son obscurité il gouvernait de généreux esprits, faisait mouvoir bien des ressorts cachés, entretenait avec la démocratie du dehors des relations assidues, et, dans la sphère où s’exerçait son ascendant, secondé par Voyer-d’Argenson et Charles Teste, tenait les rênes de la propagande, soit qu’il fallût accélérer le mouvement ou le ralentir. Il refusa son approbation à la