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cependant une des plus grandes figures de notre époque.

Né à Pise, Buonarotti descendait de Michel-Ange. La gravité de son maintien, l’autorité de sa parole, toujours onctueuse quoique sévère, son visage noblement altéré par l’habitude des méditations et une longue pratique de la vie, son vaste front, son regard plein de pensées, le fier dessin de ses lèvres accoutumées à la prudence, tout le rendait semblable aux sages de l’ancienne Grèce. Il en avait la vertu, la pénétration et la bonté. Son austérité même était d’une douceur infinie. Admirable de sérénité, comme tous les hommes dont la conscience est pure, la mort avait passé près de lui sans l’émouvoir, et l’énergie de son âme l’élevait au-dessus des angoisses de la misère. Seulement, il y avait chez lui un peu de cette mélancolie auguste qu’inspire au vrai philosophe le spectacle des choses humaines. Quant à ses opinions, elles étaient d’origine céleste, puisqu’elles tendaient à ramener parmi les hommes le culte de la fraternité évangélique ; mais elles devaient être difficilement comprises dans un siècle abruti par l’excès de la corruption. Car il est des vérités qui, bien que fort simples, sont d’une nature tellement sublime que, pour les embrasser, l’intelligence de la tête ne suffit pas : il y faut celle du cœur, sans laquelle il n’y aura jamais, même dans les esprits d’élite, que force apparente et trompeuses lueurs. Buonarotti aimait donc le peuple, mais il l’aimait d’un amour profond, et non de cet amour emporté qui, produit par l’effervescence de la jeunesse, aigri plus tard par les déceptions de