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LÉON TOLSTOÏ

augmentation de fortune, succès ou insuccès littéraires, même perte de personnes aimées. Je raconterai comment tout cela se passa, ensuite je tâcherai d’exprimer les pensées et les sentiments que provoqua alors en moi cet événement et que provoque maintenant son souvenir. Je ne me rappelle plus ce qui m’occupait particulièrement à cette époque. Vous le savez mieux que moi. Je sais seulement que je vivais d’une vie tranquille, satisfaite, égoïste.

« Au courant de l’été 1866, nous eûmes la visite inattendue de Gricha Kolokoltzov, qui, étant encore Cadet, venait chez les Bers, et connaissait ma femme. Il était alors officier dans un régiment d’infanterie, logé dans notre voisinage. Kolokoltzov était un bon garçon, gai, très occupé de son cheval sur lequel il aimait à galoper, et il venait souvent chez nous. Par lui nous fîmes la connaissance du commandant de son régiment, U… et de M. M. Stassulévitch, frère de l’écrivain, dégradé pour raisons politiques. Stassulévitch n’était plus très jeune. Il venait d’être réincorporé comme lieutenant dans le régiment de son ancien camarade U…, maintenant son chef principal. U… et Stassulévitch venaient nous voir de temps en temps. U. était un gros garçon, rouge, gai, encore célibataire. C’était un de ces hommes comme on en rencontre si souvent, de ces hommes en qui on ne voit rien d’humain à travers la situation conventionnelle dans laquelle ils se trouvent et dont la conservation est le but suprême de leur existence. Pour le colonel U…, telle situation conventionnelle était celle de commandant de régiment. Il est difficile de juger