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LÉON TOLSTOÏ

Nekrassov : « Mon cher, mon cher, me dit Grigorovitch, avec des larmes de rire, en me tapant sur l’épaule, vous ne pouvez vous imaginer quelles scènes se sont passées ! Ah mon Dieu ! Tourgueniev pousse des cris, s’étreint la gorge et avec des yeux de gazelle mourante murmure : « Je n’en puis plus ! J’ai une bronchite ! » et il se met à marcher à grands pas à travers les trois pièces. — « Bronchite, grogne Tolstoï, la bronchite est une maladie imaginaire ; bronchite, c’est l’or ! » Au maître du logis, à Nekrassov, le cœur bat. Il a peur de laisser échapper Tourgueniev et Tolstoï en qui il sent un appui capital pour le Sovremennik et il se met à manœuvrer. Nous sommes tous émus et ne savons que dire : Tolstoï, dans la pièce du milieu, est couché sur le divan et se fâche, et Tourgueniev, les pans de son veston court écartés, les mains dans les poches, continue à marcher dans les trois chambres.

« Pour prévenir la catastrophe, je m’approche du divan et dis : « Cher Tolstoï, ne vous emportez pas ! Vous ne savez pas combien il vous aime et vous apprécie ! » — « Je ne le lui permettrai pas ! réplique Tolstoï, les narines élargies, de faire tout pour m’agacer. Voilà, c’est exprès qu’il marche de long en large devant moi et promène ses cuisses démocratiques[1] ! »

D.-V. Grigorovitch, dans ses Souvenirs littéraires, raconte aussi un épisode analogue datant des

  1. A. Fet : Mes Souvenirs, première partie, page 105.