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comme chef de l’Empire. Une ambassade solennelle, à la tête de laquelle était Gaspard de Coligny, amiral de France, fut envoyée par Henri II à Bruxelles, pour recevoir les serments de l’empereur et du roi Philippe. Coligny arriva dans cette capitale le 25 mars ; le 29 il eut audience de l’empereur, qu’il trouva assis à cause de sa goutte, et ayant devant lui une table couverte d’un tapis noir. Après des félicitations sur la conclusion de la trêve, auxquelles Charles-Quint répondit gracieusement, l’amiral lui remit une lettre du roi son maître. Charles, dont les mains étaient à moitié paralysées, ne parvenant pas à l’ouvrir, l’évêque d’Arras, placé derrière son siége, s’avança pour lui venir en aide ; mais il n’y consentit point : « Comment, monsieur d’Arras, lui dit-il, vous voulez me ravir le devoir auquel je suis tenu envers le roi mon bon frère ! S’il plaît à Dieu, un autre que moi ne le fera pas. » Et par un plus grand effort, il brisa le fil qui tenait la lettre fermée. Se tournant alors vers Coligny, « Que penserez vous de moi, monsieur l’amiral, lui dit-il ? Ne suis-je pas un brave cavalier pour courir et rompre une lance, moi qui ne puis qu’à bien grand’ peine ouvrir une lettre ? » Il s’enquit ensuite de la santé du roi et se glorifia de descendre, par Marie de Bourgogne, de la maison de France. Apprenant qu’Henri II avait déjà des cheveux blancs, bien qu’encore jeune, il dit à Coligny : « J’étais quasi du même âge que le roi votre maître lorsque je revins de mon voyage de la Goulette à Naples. Vous connaissez la beauté de cette ville et la bonne grâce des dames qui y sont : je voulus leur plaire comme les autres et mériter leur faveur. Le lendemain de mon arrivée, je fis appeler mon barbier de grand matin, pour m’arranger la tête, me friser et me parfumer. En me regardant au miroir, j’aperçus quelques cheveux blancs comme en a aujourd’hui le roi mon bon frère. Otez-moi ces poils-là, dis-je au barbier, et n’en laissez aucun : ce qu’il fit. Mais savez-vous ce qu’il m’advint ? Quelque temps après, me regardant encore au miroir, je trouvai que, pour un poil blanc que j’avais fait oter, il m’en était revenu trois. Si j’avais voulu faire ôter ces derniers, je serais devenu en moins de rien blanc comme un cygne. » Cette anecdote fit beaucoup rire Coligny et les personnages qui l’accompagnaient. L’empereur voulut voir le fameux bouffon Brusquiet, qui avait suivi l’ambassade française à Bruxelles ; il échangea avec lui quelques plaisanteries[1].

L’argent attendu d’Espagne étant enfin arrivé, Charles-Quint fixa son départ à la fin du mois de juin. Dans le courant de ce mois il licencia sa maison, qui comprenait encore plus de quatre cent cinquante personnes, sans compter les compagnies d’archers et de hallebardiers qui formaient sa garde wallonne, allemande et espagnole. Il voulut seulement être accompagné jusqu’en Espagne de Jean de Croy, comte du Rœulx, de Jean de Poupet, seigneur de la Chaulx, de Floris de Montmorency, seigneur d’Hubermont, de Philippe de Recourt, seigneur de Lieques, et d’un certain nombre de ses ayúdas de cámara, de ses barbiers et d’autres officiers subalternes attachés au service de la chambre, de la cuisine, de la cave, de la table et de l’écurie. Une compagnie de hallebardiers devait lui servir d’escorte jusqu’à son entrée au monastère de Yuste. Quoiqu’il fût habitué depuis longtemps aux soins du docteur Corneille de Baersdorp, qui avait sa confiance, il le céda aux reines ses sœurs et se contenta, pour son service propre, d’un médecin plus jeune, Henri Mathys, brugeois comme Baersdorp[2].

Sur ces entrefaites, le roi Ferdinand lui fit exprimer le désir de son fils Maximilien de venir le voir avant qu’il passât en Espagne. Charles lui répondit qu’il serait charmé de cette visite, surtout si le roi de Bohême était accompagné de sa femme, mais à la condition que Maximilien fût à Bruxelles avant la fin de juin, ne voulant pas remettre son départ, quelque chose qu’il pût survenir. Il le remit

  1. Voyage de monsieur l’Amiral vers l’Empereur et le roi Philippe, dans Ribier, t. II, p. 6. — Mignet, Charles-Quint, etc., pp. 115-120.
  2. Retraite et mort, etc. Introduct., pp. 125-127.