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sur d’autres États, ne les voudrait apparemment pas abandonner pour venir demeurer en Angleterre; qui peut-être essayerait d’introduire des étrangers dans le gouvernement du royaume. L’ambassadeur impérial s’appliqua à lever ses scrupules et à résoudre ses objections : il attribua aux ennemis du prince Philippe les propos qu’on tenait sur son compte; il se porta garant de sa vertu, de sa prudence, de sa modestie[1]; il dit que le royaume ne pourrait que se féliciter d’une alliance qui ajouterait a sa grandeur, à sa prospérité, à sa sécurité; il assura la reine que, si le prince devenait son mari, il n’aurait rien de plus cher que de demeurer avec elle, et que cela lui serait facile, vu la proximité des États sur lesquels il serait appelé à régner; il ajouta que la nation n’avait point à craindre que des étrangers fussent entremis dans le gouvernement ni pourvus des charges, offices et bénéfices du royaume; que des stipulations seraient insérées au traité de mariage qui lui donneraient toutes garanties à cet égard[2]. Le 21 octobre, à sa troisième entrevue avec l’envoyé de l’empereur, Marie était encore hésitante[3]. Six jours après, ayant reçu Renard en audience et pris lecture de lettres par lesquelles l’empereur l’engageait à se marier, sans y faire mention de son fils ni d’aucun autre[4], elle lui dit qu’elle avait pleuré plus de deux heures et prié Dieu qu’il la voulût inspirer dans la résolution qu’elle avait à prendre : elle ne lui déclara pas encore positivement qu’elle acceptait le prince d’Espagne pour son époux, mais elle ne l’en laissa guère douter[5]. Enfin, le 29 octobre au soir[6], elle le fit venir dans sa chambre; elle y était seule avec mistress Clarence, l’une de ses dames, et le saint-sacrement s’y trouvait exposé. Après quelques mots adressés à l’ambassadeur, elle se mit à genoux et récita l’oraison Veni Creator Spiritus. S’étant relevée, elle dit à Renard que, puisque l’empereur l’avait choisi pour traiter cette affaire avec elle, elle le choisissait pour son premier père confesseur et l’empereur pour le second; qu’ayant pesé toutes choses; se confiant en ce qu’il lui avait assuré des qualités et conditions du prince d’Espagne; persuadée que l’empereur l’aurait toujours en bonne recommandation et souvenance; que dans le traité à conclure il s’accommoderait à ce que le bien public du royaume exigerait; qu’il lui demeurerait bon père, comme il l’avait été jusque-là; enfin se sentant conseillée de Dieu, qui avait déjà fait tant de miracles pour elle, elle s’engageait, devant le saint-sacrement, à prendre le prince pour mari; qu’elle l’aimerait parfaitement et ne lui donnerait aucune occasion d’être jaloux; que jamais elle ne changerait; que, les deux jours précédents, elle avait feint d’être malade, mais que sa maladie n’avait été autre que la grande anxiété d’esprit où elle était, ayant à se résoudre sur une affaire d’une telle importance[7].

Un profond secret fut gardé sur cette

  1. « ..... Je dis à ladicte royne ..... que, quant aux conditions de Son Altèze, je ne doubtois qu’elle fût abreuvée de personnaiges trop suspectz et trop inclinez à mal parler et médire, qui par passion parloient plus que par vérité; que ses conditions estoient telles, si louables, si vertueuses, si prudentes et modestes, que c’estoit plustost chose admirable que humaine... » (Ibid.) Dans entrevoie que Renard eut avec la reine le 14, elle le conjura de lui dire, en lui prenant la main, « s’il estoit vrai que Son Altèze fût tel qu’il lui avoit dit dernièrement.» A quoi il réponque « si sa caution estoit suffisante, il l’obligeroit pour le tesmoingnage de ses qualitez, autant vertueuses que de prince qu’il soit en ce monde. » (Lettre de Renard du 15 octobre.)
  2. Lettre de Renard à l’empereur du 12 octobre, déjà citée
  3. « ..... Elle me dit qu’elle n’avoit affection à Cortenai et ne s’estoit résolue en l’ung ni en l’aultre ..... » (Lettre de Renard à l’empereur du 23 octobre, aux Archives du royaume.)
  4. Ces lettres, en date du 10 octobre, sont dans les Papiers d’État de Granvelle, t. IV, p. 125.
  5. Elle lui dit « qu’elle croyait qu’elle s’accorderait au mariage du prince. » Renard écrivit à l’empereur : « Par ce V. M. entendra comme le mariage est si avancé qu’il ne reste sinon l’advis des conseillers, puisque ladicte dame a n donné son mot; et jaçoit qu’elle l’nii limité par croire, si est-ce V. M. entend assez que veut dire cela ..... » (Lettre du 28 octobre, aux Archives du royaume.)
  6. Lingard, M. Mignet, M. Alex. Henne, etc., donnent à cet événement la date du 30 : ils se trompent. Dans sa lettre du 31 à Charles-Quint, Renard s’exprime ainsi : « Dimanche au soir ladicte dame me manda pour venir devers elle : ce que je fis. » Or, le dimanche était le 29, comme on peut s’en assurer en consultant L’Art de vérifier les dates.
  7. Lettre de Renard à l’empereur du 31 octobre 1553. (Archives du royaume.)