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ment quitter la France et aller vivre aux Pays-Bas avec la reine douairière de Hongrie. Charles-Quint ne condescendit point d’abord au vœu qu’elle lui en fit exprimer par la reine Marie[1]; il craignait que le départ d’Éléonore ne fût mal interprété par le roi ; il voulait ne donner aux Français aucun prétexte de rupture, si léger qu’il fût. Mais, après son arrivée à Bruxelles, il crut devoir prendre en considération les instances de sa sœur, et il fit demander à Henri II son consentement à ce que la reine douairière vînt le trouver dans cette capitale ; Henri le donna sans difficulté[2]. La reine Marie, avec une suite nombreuse, alla jusqu’à Cambrai au devant d’Éléonore, que le roi ne vit point et n’envoya même pas visiter à son départ, quoiqu’il fût tout près de Paris[3]. Charles lui dépêcha le seigneur de la Chaulx, l’un des premiers gentilshommes de sa chambre, pour lui exprimer le plaisir qu’il avait de sa venue, et le regret qu’il éprouvait de ne pouvoir le lui écrire à cause de sa goutte[4]; il chargea le prince de Piémont de se porter à sa rencontre hors de la ville, et il l’attendit dans l’appartement qu’il avait fait préparer pour elle au palais[5]. Ce fut le 5 décembre dans la soirée qu’elle arriva à Bruxelles ; le magistrat et la bourgeoisie la reçurent avec de grands honneurs.

La goutte continuait de tourmenter l’empereur ; elle le força de garder le lit pendant les fêtes de Noël[6]. Se trouvant un peu mieux, il voulut aller à la chasse ; cette imprudence lui valut une rechute[7]. Un médecin napolitain vint à cette époque à Bruxelles, promettant de faire merveille pour la guérison de l’empereur ; il fut résolu de mettre ses talents à l’épreuve[8]. Charles se trouva bien d’abord du régime que lui prescrivit son nouveau docteur ; mais l’efficacité n’en fut pas de longue durée, et la goutte ne tarda pas à le reprendre[9]. Il assista néanmoins, dans sa chapelle, le 22 janvier 1549, au mariage de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, avec mademoiselle d’Egmont, sœur du comte Lamoral[10], mariage qui, pendant plusieurs jours, donna lieu, a la cour, à des tournois, des festins et des bals auxquels les deux reines présidèrent[11]. L’ambassadeur Marillac instruisait régulièrement et minutieusement son maître des vicissitudes que subissait la santé de l’empereur ; ses dépêches sont pleines de détails sur ce sujet. Il en est une où il représente l’état de Charles-Quint comme à peu près désespéré : « On peut en juger, dit-il, à voir qu’il a l’œil abattu, la bouche pâle, le visage plus d’homme mort que vif, le cou exténué et grêle, la parole faible, l’haleine courte, le dos fort courbé et les jambes si faibles qu’à grand’peine il peut aller avec un bâton de sa chambre jusques à sa garde-robe. Et combien qu’il fasse encore parfois contenance de rire, et qu’il s’essaye de sortir dehors, disant qu’il ne sent point de mal, ceux qui le peuvent bien savoir m’ont

  1. Lettres de Charles à Marie des 12 juin et 13 août 1548. Il lui dit dans celle du 13 août : « Tout considéré, il me semble que, pour tous respects, il importe que nostre sœur se comporte le mieux qu’elle pourra jusques l’on voye quelle conclusion l’on pourra prendre en ses affaires. » (Arch. impér. à Vienne.)
       Marie lui avait écrit le 28 juillet : « Elle est en une si merveilleuse crainte que V. M. la veuille faire demeurer en France, qu’elle en prent un bien fort grant regret et tel quy lui fait bien souvent venir son mal ; et luy semble que sa longue demeure luy fera abrévier ses jours. » (Ibid.)
  2. Lettre de Charles à son ambassadeur, le Sr de Saint-Mauris, du 26 septembre 1548; lettre de Saint-Mauris à l’empereur du 13 octobre. (Manuscrits du comte de Wynants.)
       Saint-Mauris, avant de voir le roi, avait parlé au cardinal de Guise, qui avait trouvé quelque chose de suspect dans la demande de l’empereur.
  3. Lettre de Marie à Charles du 18 novembre. (Arch. impér. à Vienne.) — Éléonore quitta Paris le 16 novembre. Henri II était, le 10, venu de Poissy voir au Louvre la reine sa femme. (Lettres de l’ambassadeur Saint-Mauris des 15 et 16 novembre.)
  4. Instruction au seigneur de la Chaulx, du 24 novembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  5. Journal de Vandenesse.
  6. Lettre de Marillac à Henri II du 28 décembre 1548. (Manuscrit cité, p. 112.)
  7. Lettre du même au même, du 9 janvier 1549. (Ibid., p. 115.)
  8. Ibid.
  9. Lettre de Marillac au roi, du 15 janvier 1549. (Manuscrit cité, p 121.)
  10. Lettre de Marillac au roi du 23 janvier 1549. (Manuscrit cité, p. 128.)
  11. Journal de Vandenesse.