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traversé lui avaient fait leur soumission. Le 23, à l’approche de quelques détachements envoyés en éclaireurs, Jean-Frédéric abandonna sa position de Meissen, après avoir mis le feu au pont de la ville : dans la pensée que l’empereur se porterait sur Wittenberg, il alla camper à Mühlberg, à deux lieues en aval de l’Elbe, où il fit jeter un pont de bateaux au moyen duquel il pût, au besoin, passer sur la rive opposée. Mais Charles, ayant eu connaissance, dans la soirée, de la direction qu’il avait prise[1], fit incontinent partir dans cette direction son artillerie et les pontons qu’il menait avec lui ; le 24, aux premières lueurs de l’aube, il fit prendre le même chemin à toute son armée ; il était sur pied depuis minuit, ayant voulu veiller lui-même à l’exécution de ses ordres[2]. Vers neuf heures du matin, son avant-garde se trouva en face du pont de bateaux que les Saxons avaient construit et qui était défendu par dix enseignes de gens de pied[3] : les Espagnols qui la composaient attaquèrent vigoureusement les ennemis et leur firent éprouver de grandes pertes. Voyant que le pont allait être pris, les Saxons le coupèrent en trois parties, dont ils emmenèrent deux au bas de la rivière ; mais quelques arquebusiers espagnols[4] se jetèrent à l’eau, tenant leurs épées entre les dents, et nageant vers les bateaux, ils les ramenèrent, après avoir tué ceux qui les conduisaient. Tandis qu’on s’occupait de refaire le pont, le duc d’Albe présenta à l’empereur un homme du pays qui offrait, d’indiquer un gué pour le passage de la cavalerie[5].

Charles avait hâte de passer la rivière; il craignait que le duc Jean-Frédéric n’eût le temps de s’éloigner ; il ne voulait pas attendre que le pont fût reconstruit. Après avoir fait sonder le gué par une vingtaine de hussards qui le reconnurent praticable, il donna l’ordre à la cavalerie hongroise, aux chevau-légers du prince de Sulmone, aux hommes d’armes de Naples, tous ayant à leur tête le duc d’Albe, et au duc Maurice avec ses gens, de traverser le fleuve. Il s’y élança après eux[6], ainsi que le roi son frère et tous les gentilshommes attachés à leurs maisons. Quatre mille cavaliers et cinq cents arquebusiers à pied[7] passèrent de la sorte, en une demi-heure, sur l’autre rive ; ces derniers avaient été pris en croupe par les hussards hongrois et les chevau-légers du prince de Sulmone. Aussitôt qu’ils eurent gagné la terre, ils se mirent à la poursuite des Saxons, qui, désespérant de pouvoir se défendre à Mühlberg, battaient en retraite. Pendant ce temps, le pont avait été rétabli, et le reste de l’armée, infanterie et cavalerie, à l’exception de ce qui était nécessaire pour la garde du

  1. Ce fut à cinq heures du soir que Charles reçut cet avis, « et Dieu sait (dit-il dans ses Commentaires, p. 183) combien il se repentit de s’être arrêté ce jour-là, parce qu’il lui senblait que le lendemain il serait trop tard pour atteindre les ennemis. Mais Dieu y pourvut par sa bonté. »
       Plus loin (p. 184), il dit encore : « Afin de balancer et de réparer la raiite qu’il croyait avoir commise en ne se mettant pas en route ce jour-là, il voulait partir, sans hésiter, à l’heure même avec toute son armée, laissant en arrière les hommes inutiles et les bagages ; mais en cela il trouva des contradicteurs, et voyant que leur opinion était raisonnable, il résolut de remettre le départ au matin. »
  2. Commentaires, p. 185.
  3. Lettre de Charles à la reine Marie, du 25 avril. D’après la relation insérée dans les Papiers d’Etat de Granvelle, les enseignes saxonnes n’étaient qu’au nombre de sept.
  4. Ils étaient dix, suivant D’Avila, six d’après la lettre de Charles à Marie du 25 avril, et trois seulement d’après la relation insérée aux Papiers d’Etat de Granvelle. Dans ses Commentaires, Charles dit : quelques arquebusiers espagnols.
  5. Suivant D’Avila, cet homme s’offrit à guider les impériaux, pour se venger des gens de guerre du duc, son souverain, qui la veille lui avaient pris deux chevaux.
  6. Cette action de l’empereur, dit Mocenigo, fut réputée de tout le monde un acte de grand courage (fù riputato da tutti gran coraggio quello di Cesare); plusieurs de ses gentilshommes avouaient qu’ils avaient eu une très-grande peur dans le passage de l’Elbe, et que, si l’empereur ne leur avait donné l’exemple, jamais ils n’auraient osé s’exposer à tant de péril (Ho parlato io con alcuni cavalieri di Cesare, li quali largamente confessavano haver havuto in quel passare grandissima paura, et che se la Maestà Sua non si havesse li propria posto a sguazzare, loro mai non havriano havuto ardimento di commettérsi a tanto pericolo).
       D’après D’Avila, dans l’endroit ou passa la cavalerie impériale, la rivière avait trois cents pas de largeur ; le fond était bon, mais la profondeur était telle que les cavaliers avaient de l’eau jusqu’au-dessus des genoux; il y avait même des endroits où les chevaux durent nager. Ces dernières circonstances sont rapportées aussi par Mocenigo.
  7. Dans la relation insérée aux Papiers d’Etat de Granvelle, il est dit que « deux mille arquebusiers » passèrent en croupe. Mais Charles-Quint, dans sa lettre du 25 avril à la reine Marie, ne parle que de « cinq cents. »