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hommes qui étaient à bord se noyèrent ou furent massacrés par les Arabes[1]. La situation de l’armée devenait de moment en moment plus critique : lorsqu’elle était descendue à terre, on n’avait débarqué que pour deux jours de vivres; ils étaient consommés et il n’y avait pas de moyen de s’en procurer d’autres, l’impétuosité des flots empêchant toute communication avec les navires qui avaient résisté à la tourmente. Dans cette extrémité, Charles n’avait qu’un parti à prendre : il ordonna la retraite sur Metafus; les blessés et les malades furent placés au centre; les hommes qui avaient conservé le plus de vigueur prirent la tête ou formèrent l’arrière-garde. Ce fut un spectacle lamentable que cette marche en arrière qui dura trois jours. Beaucoup de soldats pouvaient à peine soutenir le poids de leurs armes; d’autres tombaient d’épuisement dans les chemins profonds et marécageux qu’il fallait traverser; d’autres périssaient d’inanition, car, pour toute subsistance, l’armée avait les palmiers qu’on trouvait dans les champs et la chair des chevaux que l’empereur faisait abattre. Il y en eut beaucoup de tués par les Mores d’Alger et les Arabes des montagnes qui ne cessèrent, pendant toute la marche, de harceler l’armée le jour et la nuit, et, pour surcroît de misère, il fallut passer deux rivières où les hommes avaient de l’eau jusqu’aux épaules. « Dans cette horrible enchaînement de malheurs, Charles — dit un de ses historiens — fit admirer sa fermeté, sa constance, sa grandeur d’âme, son courage et son humanité : il supportait les plus grandes fatigues comme le dernier soldat de son armée; il exposait sa personne partout où le danger était le plus menaçant; il ranimait le courage de ceux qui se laissaient abattre; il visitait les malades et les blessés et les encourageait tous par ses discours et par son exemple[2]. » Enfin, le 28 octobre, l’armée atteignit Metafus, où elle put se refaire de ses fatigues. Doria avait rassemblé dans ce port tous les bâtiments de la flotte qui avaient échappé au désastre des jours précédents.

Dans l’armée, surtout parmi les Espagnols, il y en avait qui étaient d’avis de tenter une nouvelle attaque contre Alger. Charles n’écouta pas ces conseils imprudents, et le 1er novembre il s’embarqua avec sa maison, après avoir pourvu à l’embarquement des troupes. Le surlendemain il donna l’ordre du départ : il avait réglé la destination de tous les corps de l’armée ainsi que des différentes divisions de la flotte; les galères d’Espagne, celles d’Andrea Doria, de Naples, de Monaco, devaient l’accompagner jusqu’à Cartagène[3]. Ce jour-là la tempête, qui avait paru apaisée, gronda de nouveau, et Charles eut beaucoup de peine à gagner le port de Bougie. Le ciel ne s’éclaircissant pas, il fit faire, le 11, le 12 et le 13 novembre, pour implorer la miséricorde divine, des processions générales auxquelles il assista. Ses vœux ne furent pas d’abord exaucés : car ayant essayé, le 17, de sortir du port, il se vit contraint d’y rentrer. Une seconde tentative, faite la nuit suivante, eut le même résultat. Enfin, le 23, il parvint, à force de rames, à gagner la haute mer; le 26 il mouilla devant Majorque; il aborda à Cartagène le 1er décembre.

Les bruits les plus alarmants couraient dans la Péninsule sur l’armée expéditionnaire; aussi les Espagnols, en revoyant leur souverain, firent-ils éclater leur joie. Charles, le 5 décembre, quitta Cartagène pour aller visiter la ville de Murcie; il prit ensuite le chemin de la Castille. Il trouva à Ocaña les infantes ses filles, et le prince Philippe vint l’y joindre

  1. Herbais et Vandenesse parlent de douze cents chrétiens noyés ou tués. Sandoval ni M. Lafuente n’en donnent le chiffre. Robertson réduit celui-ci à huit cents. Charles-Quint, dans sa lettre au cardinal Tavera, s’applique à atténuer cette perte : « Les gens qui étaient sur les galères el les navires, dit-il, ont été sauvés pour la plus grande partie; parmi ceux qui ont péri, il n’y avait aucune personne de marque. »
  2. Robertson, liv. VI.
  3. Lettre de Charles au cardinal Tavera du 3 novembre. (Documentos ineditos, t. I, p. 234.)