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trouvaient[1], et allèrent jeter leurs cadavres dans des lieux écartés. Le marquis del Vasto, gouverneur du Milanais, accusé d’avoir ordonné ou du moins autorisé cet attentat, afin de se rendre maître des dépêches dont Rincon était porteur, s’en défendit vivement[2]. Chose singulière! on ignorait ce qu’étaient devenues les victimes du guet-apens du 3 juillet; on supposait qu’elles étaient détenues dans quelque cachot. François Ier fit partir pour Lucques un gentilhomme de la chambre du dauphin, chargé de demander à l’empereur que ses ambassadeurs lui fussent rendus, et de réclamer à cet effet l’intervention du pape, en rappelant à Paul III qu’il avait été le médiateur de la trève de Nice. Charles-Quint répondit à l’envoyé du roi qu’il ignorait où pouvaient être Fregoso et Rincon; que s’ils étaient en un lieu quelconque de ses États dont il fût informé, il les ferait immédiatement restituer à son maître; qu’il était prêt à donner de nouveaux ordres pour qu’on les recherchât; qu’il se soumettait du reste, quant à cette affaire, au jugement du souverain pontife[3]. Le 18 septembre Charles prit congé du pape et partit pour la Spezzia, où il s’embarqua dix jours après. A la sortie du port, une furieuse tempête l’assaillit, qui le força de chercher un refuge en Corse d’abord et ensuite en Sardaigne; il ne put arriver à Majorque, où il était attendu, que le 13 octobre.

C’était avec regret qu’après son expédition de 1535 Charles s’était éloigné des rives africaines sans avoir porté ses armes dans l’Algérie, car il prévoyait qu’Alger deviendrait le réceptacle des pirates chassés par lui de Tunis; mais il n’avait pas renoncé à une entreprise qui devait (il l’espérait du moins) ajouter à sa gloire, en délivrant ses peuples d’Espagne et d’Italie des maux qu’ils souffraient par les brigandages des Barbaresques. La guerre avec la France qui suivit son passage en Italie l’obligea d’en différer l’exécution. Il avait à peine signé, à Nice, la trève de dix ans qu’il entama avec Barberousse, dans le but de l’attirer à son service, des négociations secrètes[4]; si elles avaient eu l’issue qu’il s’en promettait, il n’aurait plus été question d’enlever l’Algérie au corsaire couronné : au contraire, la possession lui en eût été garantie, sous l’engagement qu’il aurait pris de faire cesser toutes pirateries dans la Méditerranée. Ces négociations se poursuivirent assez longtemps : on ne connaît pas bien les circonstances qui en amenèrent la rupture, mais il est certain qu’elles avaient cessé au mois de septembre 1540. Charles alors reprit son premier dessein, résolu de le mettre à effet après qu’il aurait tenu la diète de l’Empire, et il envoya des ordres en Espagne et en Italie afin qu’on y formât une armée expéditionnaire; plus tard il assigna pour rendez-vous aux différentes divisions de cette armée le port de Majorque. Là étaient rassemblés, quand il y arriva, deux cent cinquante à trois cents navires, dont une cinquantaine de galères, portant vingt et quelques mille hommes d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, espagnols, italiens et allemands; les Espagnols avaient pour chef don Ferrante Gonzaga, vice-roi de Sicile, les Allemands Georges Fronsperg, les Italiens Camillo Colonna. Toute la flotte était sous le commandement du grand amiral Andrea Doria. Seize galères et soixante navires équipés dans les ports d’Espagne, et qui amenaient une foule de gentilshommes appartenant aux principales familles de la Péninsule, avec de l’artillerie, des munitions et des vivres, étaient retenus dans l’île d’Iviça par les vents contraires. Charles fixa au 18 octobre le départ de l’expédition; il s’embar-

  1. On trouve des détails précis sur ce fait dans une lettre écrite, le 12 août 1541, à la reine Marie de Hongrie par le conseiller belge Boisot, que l’empereur avait envoyé à Milan, pour s’informer de ce qui était arrivé. Il en résulte que les meurtriers de Rincon et Fregoso étaient espagnols
  2. Dans la lettre que nous venons de citer, Boisot disculpe le marquis.
  3. C’est ce que Charles écrit à la reine Marie dans une lettre du 26 septembre 1541 (Lanz, t. II, p. 326). A moins qu’on ne prétende qu’il ait voulu tromper sa propre sœur, on doit conclure des termes de sa lettre qu’il ignorait véritablement ce qu’étaient devenus Fregoso et Rincon.
  4. Ces négociations étaient restées ignorées jusque dans ces derniers temps; c’est M. Lafuente qui les a révélées d’après des documents recueillis par lui aux archives de Simancas. (Voir le tome XI, publié en 1853, de la Historia general de España, p. 180 et suiv.)