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duc de Clèves; qu’on le lui remontrerait vivement, et qu’on le requerrait de faire en sorte qu’un plus grand inconvénient ne lui en advînt. Quoiqu’on tînt pour assuré que la paix serait observée de tous, d’après les déclarations faites à la diète par l’un aussi bien que par l’autre parti, une ligue était conclue entre le pape, l’empereur, le roi des Romains, le cardinal de Mayence, l’archevêque de Salzbourg, les ducs de Bavière et de Brunswick et d’autres prélats, princes et membres des états pour la défense de la foi catholique contre quiconque y voudrait dorénavant attenter. Les protestants n’avaient pas adhéré sans difficulté à ce recez : une déclaration de l’empereur, faite, selon plusieurs historiens[1], à l’insu des états catholiques, en adoucit les articles dont ils croyaient avoir à se plaindre; il y était dit, entre autres, que les couvents ne seraient point détruits, mais que les moines seraient exhortés à se corriger; que les ecclésiastiques garderaient leurs revenus, sans distinction de religion; que, s’il était défendu aux protestants d’exciter les catholiques à embrasser leur doctrine, ils pourraient néanmoins recevoir ceux qui se présenteraient d’eux-mêmes. Des garanties leur étaient données aussi relativement à la composition de la chambre impériale. Tous ces ménagements de l’empereur pour les protestants peuvent paraître extraordinaires : ils s’expliquent cependant par la situation où étaient ses affaires et celles du roi des Romains : les Turcs s’avançaient de plus en plus en Hongrie, et il était à prévoir qu’un long temps ne s’écoulerait pas sans que la trève de Nice fût rompue par la France.

Le jour même de la clôture de la diète, Charles quitta Ratisbonne. Il avait été concerté entre lui et le pape qu’ils auraient une entrevue à Lucques : il prit son chemin par Munich, Inspruck, Trente, Peschiera, Crémone, Milan, Pavie, Alexandrie, Gênes, où il arriva le 3 septembre. Dans ce trajet il vit venir au-devant de lui le duc de Camerino, mari de sa fille Marguerite, le duc de Ferrare, le duc de Mantoue, des ambassadeurs de la seigneurie de Venise. A Milan, où il resta sept jours, il reçut la visite du duc d’Urbin. A Gênes le duc de Florence, le prince de Piémont, le prince Doria accoururent pour lui présenter leurs hommages. Le 10 septembre il s’embarqua. Le 12 il descendit au port de Via-Reggio, d’où il se dirigea vers Lucques. Il trouva, à mi-chemin, les cardinaux Santiquatro et Farnèse envoyés par le pape, et à la porte de la ville tout le sacré collége. Paul III était à la cathédrale; Charles s’y rendit : il baisa les pieds du souverain pontife, avec lequel il s’entretint quelques instants; il fut conduit ensuite au palais de la république, qui avait été destiné pour son logement. Les cinq jours suivants, il eut des conférences de plusieurs heures, et sans témoins, avec le chef de l’Église; elles eurent lieu dans les appartements du pape, à l’exception de la troisième, pour laquelle Paul se transporta lui-même chez l’empereur[2]. Dans ces conférences il fut surtout question de ce qui avait été traité à Ratisbonne et du lieu ainsi que de l’époque à déterminer pour la réunion du futur concile. Il y fut parlé aussi du fait de Rincon et Fregoso dont François Ier prenait occasion pour se plaindre, dans les cours de l’Europe, que l’empereur eût enfreint la trève. Antonio Rincon, transfuge espagnol, avait été plusieurs fois employé par le roi à Constantinople, où il s’était acquis quelque crédit auprès du divan. Dans l’été de 1541, François résolut de l’y renvoyer; il lui fit prendre le chemin de Venise, afin de faire de sa part une communication confidentielle au sénat. Le 2 juillet Rincon s’embarqua sur le Tésin en compagnie du capitaine César Fregoso, gênois, comme lui au service de la France. Le lendemain, au moment où ils allaient franchir l’embouchure du Tésin pour entrer dans le Pô, des gens masqués qui les y attendaient attaquèrent leur barque, les mirent à mort avec tous ceux qui s’y

  1. Hess, Histoire de l’Empire, t. II, p. 491. — Schmidt, Histoire des Allemands, t. VII, p. 100
  2. Journal du sieur de Herbais. — C’est à tort que Sandoval (liv. XXV, § V) dit que l’ambassadeur de François Ier était présent à toutes ces conférences.