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roi et le duc de Savoie. Quelques mois après, François Ier ayant envoyé à Tolède l’évêque élu d’Avranches, Charles avait dit à cet ambassadeur que la reddition du duché de Milan était chose « sûre et du tout conclue et arrêtée[1]. Elle n’était pourtant pas aussi décidée dans son esprit qu’il l’assurait, et il songeait dès lors à une autre combinaison sur laquelle il se proposait de consulter la reine Marie et le roi des Romains, lorsqu’il serait aux Pays-Bas[2].

A son arrivée dans ces provinces, il y fut suivi d’un nouvel ambassadeur de François Ier[3], Georges de Selve, évêque de Lavaur, à qui avaient été confiées déjà les ambassades de Venise et de Rome; ce prélat[4] était chargé, de continuer les négociations commencées en Espagne[5]. Alors l’empereur mit en avant la combinaison dont nous parlons plus haut. Il avait reconnu que ses sujets des Pays-Bas étaient mécontents, et avec raison, de se voir si souvent privés de la présence de leur prince naturel; que de là étaient nés les divisions, les troubles, les mutineries qui s’étaient produits dans ces provinces[6]; il résolut, pour assurer leur tranquillité et leur indépendance, de les donner en dot, ainsi que les comtés de Bourgogne et de Charolais, à sa fille aînée, l’infante Marie, en contemplation de son mariage avec le duc d’Orléans. C’était offrir au roi de France beaucoup plus que le duché de Milan ne valait; après la réunion aux Pays-Bas de la Gueldre et du comté de Zutphen, on aurait pu faire du tout un royaume qui aurait été d’un des meilleurs de toute « la chrétienté[7] : » aussi Charles Quint était-il persuadé que le roi accepterait cette offre avec empressement et gratitude. Il n’en fut pourtant pas ainsi. A la vérité, l’empereur entendait retenir, sa vie durant, la souveraineté des Pays-Bas; jusqu’à son décès, le duc et la duchesse d’Orléans n’en auraient eu que le gouvernement; il entendait que, si la princesse d’Espagne, venait à décéder sans hoirs, ces provinces retournassent à lui et à ses successeurs; il demandait que le roi se désistât de toutes prétentions à l’État de Milan, comme lui-même il abandonnerait celles qu’il avait au duché de Bourgogne; qu’il fît à son fils un parti convenable; qu’il ratifiât les traités

  1. Ribier, t. I, p. 469.
  2. Instruction au prince Philippe, du 5 novembre 1539. (Papiers d’État de Granvelle, t. II, p. 553.) — Instruction à l’abbé de Saint-Vincent, du 14 mars 1540. (Ibid., p. 563.)
  3. L’évêque de Tarbes était mort en Espagne.
  4. Le sieur de Hellin, résident du roi près la reine Marie, lui fut adjoint
  5. Du Bellay, Gaillard et d’autres historiens français, que copient la plupart des historiens étrangers, Robertson nommément, accusent Charles-Quint de mauvaise foi, de duplicité, en ce qu’il aurait formellement promis à François Ier, à son passage, par la France, de lui donner l’investiture du duché de Milan dès qu’il sérait arrivé aux Pays-Bas, et n’aurait pas tenu cette promesse. C’est encore là un exemple de la facilité avec laquelle les erreurs historiques se répandent et se perpétuent. Il nous suffira pour disculper Charles-Quint, de rétablir les faits.
        Lorsque l’empereur fut décidé à traverser la France, la première chose qu’il fit fut de donner à entendre au roi et à ses ministres qu’il ne pourrait être question, dans ce voyage, de négociations quelconques; c’est ce dont il informa la reine Marie, sa sœur, le 30 septembre 1539, en ce termes : « Puisque l’on est venu à tant, fault démonstrer entière confidence du roy et des siens et passer le plus légièrement et diligemment que fère se pourra, excusant de riens traicter là, comme à la vérité ne conviendroit... » (Archives du royaume.)
        La cour de France accepta sans difficulté et elle observa cette condition. Granvelle, que l’empereur avait envoyé en avant, lui écrivait de Langon, le 26 novembre : « Le connestable m’a dit de soy-mesmes et certiffié plusieurs fois que l’on ne parleroit à Vostre Majesté d’affaires quelconques, et se remectroient à quant et comme Vostre Majesté vouldroit... » (Relation des troubles de Gand, p 296.)
        Charles-Quint, écrivant lui-même, d’Orléans, le 21 décembre, au cardinal de Tolède, lui disait : « On ne nous a point parle d’affaires, et nous tenons pour certain qu’on ne nous en parlera pas durant ce voyage, comme ils l’ont promis et comme ils viennent de le répélter. » (Ibid., p. 643.)
        Et il lui mandait, le 21 janier 1540, de Valenciennes : « En prenant congé du roi trés-chrétien, nous l’avons entretenu de ce qui touche le Turc, et la foi, et d’aunes affaires publiques générales... En ce qui concerne les affaires particulières de nous et de lui, nous lui avons dit que, dès que le sérénissime roi, notre frère, sera arrivé à Bruxelles et que nous aurons communiqué avec lui, on pourra entendre à ce qu’il y a à faire. Et ainsi nous nous sommes séparés en frande amitié. » (Ibid., p. 662.)
        On s’étonne que M. Lafuente, qui a été à même de puiser dans les sources, ait adopté sans examen et reproduit les assertions de du Bellay, (Historià general de España, t XII, p. 147 et suiv.)
  6. Instruction au prince Philippe, ci-dessus citée.
  7. Instruction à l’abbé de Saint-Vincent ci-dessus citée.