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peuple, fut coupé en plusieurs morceaux[1], lesquels on jeta à la foule, qui les déchira en plus fde mille pièces. On déchira de même le feuillet du livre aux priviléges sur lequel l’acte était transcrit.

La reine était partie, au mois de juillet, pour les provinces du nord; à la nouvelle de ce qui se passait à Gand, elle se hâta d’en revenir. Arrivée à Malines le 7 septembre, elle y appela, pour les consulter sur la conduite qu’elle avait à tenir dans les conjonctures difficiles où elle se trouvait, les principaux seigneurs des Pays-Bas, ainsi que les députés de Bruges, d’Ypres et du Franc; ces derniers s’excusèrent de lui donner leur avis, de crainte de se coin promettre envers les Gantois. Ceux-ci, cependant, s’enhardissant de plus en plus, prétendirent que les échevins de la keure nommés le 15 août fussent destitués; que les sergents du grand bailli, qui tenaient leurs commissions du gouvernement, fussent remplacés par d’autres; que les membres du magistrat et tous les officiers de la ville prêtassent un nouveau serment dont ils dictèrent la formule. Ils firent emprisonner, sous des prétextes frivoles, plusieurs bourgeois qui avaient rempli l’office de trésorier. Les émigrations étaient devenues nombreuses : ils intimèrent aux absents l’injonction de rentrer dans leur domicile, sous peine de confiscation de leurs biens; ils firent afficher aux portes des villes, dans toute la Flandre, les noms des fugitifs, avec promesse de six cents carolus pour chacun de ceux qui leur seraient délivrés vivants. Ils ordonnèrent la construction de nouveaux ouvrages de fortification et la mise en état de l’artillerie, des tentes et des pavillons de la ville, contraignant les maisons religieuses à leur donner de grosses sommes pour couvrir ces dépenses. Ils firent faire le dénombrement des habitants, qu’ils répartirent en connétables commandées par des chefs dévoués à la cause populaire.

Déjà l’esprit de sédition s’était propagé dans d’autres parties de la Flandre, dans celles surtout qui formaient le quartier de Gand. A Alost les habitants, s’étant assemblés en armes, avaient réclamé la lecture des priviléges[2]. A Courtrai les gens de métiers ne s’étaient pas bornés à cette demande, mais ils avaient fait emprisonner plusieurs bourgeois qui leur déplaisaient et exigé l’abolition de certains impôts. Une grande fermentation régnait à Audenarde. La régente était impuissante à réprimer ces désordres; elle n’avait à sa disposition ni troupes ni les moyens d’en lever. Elle ne pouvait cependant se résoudre à céder aux dernières prétentions des Gantois : révoquer sans cause des magistrats légalement institués au nom de l’empereur, et admettre une formule de serment qui renfermait une abrogation implicite de la paix de Cadsant, c’était à ses yeux des actes de la plus mauvaise conséquence. De l’avis des ministres et des seigneurs qui étaient auprès d’elle, elle envoya à Gand Adolphe de Bourgogne, seigneur de Beveren, chevalier de la Toison d’or, amiral de la mer, et le président du grand conseil, Lambert de Bryarde. Ces deux personnages y étaient bien vus; elle espérait que, par leur influence, ils amèneraient les métiers à reconnaître ce que leurs demandes avaient d’exorbitant. Elle ne tarda pas à apprendre qu’elle s’était abusée : la commune voulait absolument la destitution des échevins de la keure et le nouveau serment; rien n’eût été capable de l’y faire renoncer. La régente fut obligée de céder sur l’un et l’autre point; mais elle le fit en protestant, par acte authentique[3], qu’elle agissait com-

  1. Ce fait est rapporté de différentes manières dans les relations du temps. D’après un écrit (inédit) envoyé par la reine Marie à l’empereur le 10 septembre, ni le grand bailli ni aucun des échevins ne voulurent lacérer le calfvel, et ce fut le doyen des tisserands qui le coupa en trois morceaux. Suivant le Discours des troubles, que rédigea le conseiller Schore et que Hoynck van Papendrecht a publié, la lacératioin en trois morceaux fut le fait des pensionnaires des trois membres de la ville. L’auteur de la Relation des troubles, que nous avons nous-même mise en lumière, raconte que le grand doyen fut le premier qui cassa l’acte « d’un cop de couteau au travers, » et qu’ensuite le semblable fut fait par le doyen des tisserands, le premier échevin de la keure et le premier échevin des parchons.
  2. Lettre de la reine à l’empereur du 25 septembre 1539. (Archives du royaume.)
  3. De plus, en faisant sceller les lettres patentes des commissaires chargés de nommer de nouveaux échevins, elle écrivit de sa main sous la cire : Par force et pour éviter plus grand mal, ay consenty cette commission. Marie.