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teur de Nice, Charles rencontra deux galères de France sur l’une desquelles venait le seigneur de Vély, Claude Dodieu, ancien ambassadeur du roi à sa cour; ce personnage était chargé de l’informer que le roi, la reine et les princes avaient dû quitter Marseille, et de lui proposer Aigues-Mortes pour lieu de l’entrevue : proposition qu’il accepta sans difficulté. Après une navigation qui ne fut pas sans danger, Charles mouilla au port d’Aigues-Mortes le dimanche 14 juillet. Il y était à peine que le connétable de Montmorency et le cardinal de Lorraine vinrent lui annoncer la visite de leur souverain : aussitôt il envoya au roi, pour le complimenter, le duc d’Albe, le grand commandeur Covos et le seigneur de Granvelle; mais déjà François était à l’entrée du port. On raconte que l’empereur donna la main au roi, pour l’aider à monter à son bord, et que le roi lui dit en l’embrassant : « Mon frère, me voici de nouveau votre prisonnier[1]. » Ces deux princes qui naguère étaient des ennemis jurés, qui s’étaient accusés mutuellement, en face de l’Europe, d’avoir manqué à leur parole, qui s’étaient donné tour à tour un démenti formel et s’étaient défilés en combat singulier, échangèrent, pendant deux heures, les paroles les plus affectueuses et les témoignages la plus vifs d’amitié et de sympathie. François désirait beaucoup que l’empereur descendit à terre; il ne l’en pressa pas toutefois, se bornant à lui dire qu’il ferait plaisir en cela à la reine et aux princesses. Charles hésita d’abord : mais la confiance que le roi venait de lui témoigner, la mortification que ce monarque aurait ressentie, si, de son côté il n’y correspondait pas, les sollicitations de la reine Éléonore, le déterminèrent, et le lendemain matin il se dirigea, en un petit bateau, vers la ville. Il trouva hors de la porte d’Aigues-Mortes le roi, la reine, le dauphin, le duc d’Orléans et tous les seigneurs et dames de la cour qui l’attendaient et lui firent la réception la plus empressée et la plus cordiale. Conduit au logis du roi, il y passa la journée, la nuit et la plus grande partie du jour suivant. Il eut avec François plusieurs entretiens particuliers dans lesquels ils protestèrent de nouveau qu’ils voulaient être et demeurer toujours vrais bons frères, amis et alliés; ne rien croire, provoquer ni faire qui fût au désavantage l’un de l’autre; procurer leur honneur et leur bien respectif; se communiquer pleinement et ouvertement tout ce qui ponvait les intéresser; aviser enfin, de commun accord et en toute sincérité, aux mesures qu’exigeait l’état de la république chrétienne. Leurs ministres, pendant ce temps, conféraient sur les affaires publiques : le langage du connétable et du cardinal de Lorraine ne permettait pas de douter que le roi n’usât de tous ses moyens d’influence pour réduire les protestants d’Allemagne, et qu’il ne prît une part active à la guerre contre le Turc, dès que la trève qu’il avait avec Soliman scerait expirée. Le 16, dans l’après-midi, le roi et les princes reconduisirent l’empereur jusqu’à sa galère, où ils passèrent encore une heure avec lui. A minuit Charles leva l’ancre; mais le mauvais temps le força le matin de rentrer au port, et il ne mit définitivement à la voile que le 17 dans la soirée[2]. En Espagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas, la trève de Nice et l’entrevue d’Aigues-Mortes donnèrent lieu à de grandes démonstrations d’allégresse. Après tant de calamités, fruits de guerres incessantes, les peuples se flattaient qu’ils allaient jouir enfin de longues années de paix et de prospérité. On verra bientôt qu’ils si confiaient trop dans la sagesse des princes qui disposaient de leurs destinées.

De retour à Barcelone le 18 juillet, Charles en partit le 26 pour Valladolid, où était l’impératrice. Il avait convoqué à Tolède les cortès générales de Castille;

  1. Sismondi, part. VII, ch. VIII.
  2. Lettre de Charles-Quint à la reine Marie, écrite d’Aigues-Mortes, le 18 juillet 1538 (Lanz, t. II, 9. 284.) — Lettre de Charles à son ambassadeur à Rome, le marquis d’Aguilar, citée par M. Lafuente, t. XII, p. 117. — Journal ms. des voyages de Charles-Quint, par le Sr de Herbais.