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scandalisés de ce qu’il avait nommé à l’archevêché de Tolède, la plus riche prélature d’Espagne et qui était enviée des premiers dignitaires de l’Église, le neveu de M. de Chièvres; ils s’indignaient du trafic que, sous ses yeux, son grand chambellan et son grand chancelier faisaient des charges, des dignités et des offices. Le choix du cardinal de Tortosa pour gouverner la Castille en l’absence du roi, vint mettre le comble aux murmures de la nation : les vertus d’Adrien lui avaient attiré le respect des Espagnols; mais ils regardaient comme un affront qu’un étranger fût placé à la tête de l’administration de leur pays. Dans l’état de fermentation où étaient les esprits, il ne fallait qu’une étincelle pour causer un embrasement général. Tolède, qui, déjà avant le départ de l’empereur, s’était livrée à des manifestations séditieuses, donna le signal de l’insurrection. Ségovie, Zamora, Burgos, Avila, Madrid, Salamanque ne tardèrent pas à suivre son exemple; l’incendie de Medina del Campon par les troupes royales sous les ordres d’Antonio de Fonseca acheva d’exaspérer les populations, et l’insurrection s’étendit à toutes les parties du royaume. Partout les procuradores qui avaient voté le service étaient en butte aux fureurs populaires; on les mettait à mort; on détruisait ou saccageait leurs demeures. Une junte des députés des villes fut convoquée à Avila, pour délibérer sur les mesures que réclamait la situation du royaume; les députés, en y entrant, juraient qu’ils voulaient vivre et mourir pour les comunidades[1]. Ils juraient aussi, à la vérité, de vivre et mourir pour le roi; mais cela n’empêchait pas que les villes dont ils étaient les représentants ne méconnussent les ordres d’Adrien et du conseil établi près sa personne; qu’elles ne déposassent les officiers royaux et ne s’emparassent des revenus de la couronne; qu’elles ne se considérassent, en un mot, comme affranchies de tout devoir de fidélité et d’obéissance envers leur souverain. Tel était, en substance, ce qu’on mandait d’Espagne à Charles-Quint. A Bruxelles, peu de temps après, il reçut d’autres nouvelles encore plus affligeantes : elles lui apprenaient que don Juan de Padilla, capitaine de Tolède, était entré à Tordesillas; qu’il en avait expulsé le marquis et la marquise de Denia; que, profitant de la maladie mentale de la reine sa mère, la junte des comuneros faisait approuver par elle tous ses actes.

Dans ces conjonctures critiques, Charles prit les seuls mesures qui, à défaut de sa présence; en Espagne, pouvaient y amener le rétablissement de son autorité : il nomma le connétable et l’amirante de Castille gouverneurs de ce royaume conjointement avec Adrien; il écrivit aux villes des lettres conçues en termes affectueux; il fit grâce du service voté par les cortès à celles qui étaient restées sous son obéissance ou qui y rentreraient; il consentit que les revenus royaux connus sous le nom d’alcávalas se perçussent comme du temps des rois catholiques, renonçant ainsi à l’augmentation qu’ils avaient subie depuis; il déclara enfin que dorénavant il ne serait plus donné de charges, d’offices ni de bénéfices à des étrangers. Il avait convoqué les états généraux des Pays-Bas à Anvers; il les réunit le 28 septembre, les remercia des aides qu’ils lui avaient accordées, leur annonça qu’il avait de nouveau confié la régence du pays à l’archiduchesse sa tante, et leur dit adieu. Le 22 octobre 1520 il fit son entrée à Aix-la-Chapelle, qui ne dura pas moins de cinq heures, tant était nombreux le cortége qui l’accompagnait. Le jour suivant, les électeurs vinrent le prendre à son palais et le conduisirent à l’église de Notre-Dame, où il fut sacré et couronné, avec les cérémonies d’usage, par l’archevêque de Cologne, assisté des archevêques de Mayence et de Trèves. Le même jour il prêta, à la maison de ville, les serments accoutumés. A partir de ce moment, il remplaça, par les titres d’élu empereur des Romains, toujours auguste, roi de Germanie, ceux d’élu roi des Romains, futur empereur, qu’il avait pris jusque là.

  1. C’était ainsi que les chefs du mouvement appelaient la confédération des villes : d’où le nom de comuneros donné à ceux qui suivirent leur parti.