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l’adjurait-il aussi de ne point poursuivre la guerre contre les Suisses : il ne voulut rien entendre. Le 27 mai, il quitte Lausanne ; le 10 juin il met le siége devant Morat et, le 22, il essuie une nouvelle défaite, plus funeste encore que celle de Granson. Escorté de trois mille cavaliers, Charles prend, avec la duchesse de Savoie, la route de Saint-Claude, d’où il se rend à Besançon, et de là au château de Rivière (en Franche-Comté). Moins abattu qu’après Granson, il presse la réorganisation de ses troupes : il a le pressentiment de nouveaux dangers. En effet, Louis XI obtenait des Suisses et du duc René qu’ils ne déposeraient pas les armes avant d’avoir consommé la ruine du duc de Bourgogne.

Au commencement du mois d’octobre, René II rentre triomphant dans Nancy. Mais Charles ne veut point se dessaisir de ce pays Lorrain dont la possession peut seule assurer la cohésion et la grandeur de ses États. Le 22 octobre, les Bourguignons reparaissent devant Nancy et bloquent étroitement la ville. Le siége durait depuis deux mois lorsque René, qui était allé réclamer le secours de ses alliés, revient avec douze mille Suisses ou Allemands. Louis XI ne s’était pas contenté de l’aider « de gens et d’argent ; » il faisait en outre avancer huit cents lances de ses ordonnances pour cerner le duc de Bourgogne. L’odieuse trahison du fameux Nicolas de Montfort, dit comte de Campo-Basso, qui passa avec toute sa cavalerie à l’ennemi, fut comme le prélude et le signal d’un dernier et effroyable désastre. Charles lui-même en avait le pressentiment lorsque, dans la matinée du 5 janvier 1477, voulant mettre son casque, le lion doré qui en formait le cimier se détacha et tomba ; il dit tristement : Hoc est signum Dei. Quelques heures plus tard, les Bourguignons étaient vaincus pour la troisième fois, et leur prince, criblé de blessures, après avoir héroïquement combattu, disparaissait dans les glaçons dont était couvert l’étang de Saint-Jean.

Pendant deux jours on ignora ce qu’il était devenu : on supposait qu’il avait péri dans le combat, mais on n’osait encore l’affirmer. Le mardi 7 janvier, au milieu des morts qui étaient à demi enfoncés dans l’étang de Saint-Jean, des officiers de René de Lorraine continuaient à chercher le cadavre du dernier duc de Bourgogne. Un page, qui disait avoir vu tuer le duc, son maître, les conduisit à l’endroit où le combat avait été le plus âpre. Ils y découvrirent le corps du prince, dépouillé, la tête enfoncée dans la glace. « Mais, dit un ancien annaliste, il ne fut pas difficile de le reconnaître à la longueur de sa barbe et de ses ongles ; d’ailleurs il lui manquait les dents de la mâchoire supérieure qu’il s’était cassées dans une chute, étant jeune ; il avait au cou la cicatrice du coup d’épée reçu à la bataille de Montlhéry ; ses médecins le reconnurent à une brûlure qu’il avait sur le dos et à l’ongle d’un pied qui lui entrait dans la chair. À voir ces signes, René ne put douter de la mort du duc, son ennemi ; il fit rapporter le corps dans une maison de Nancy, où on le mit sur un lit de parade. » Une croix de Bourgogne en pierre indique encore la place où avait été retrouvée la dépouille de l’infortuné prince. Le 12 janvier, celle-ci fut inhumée dans l’église Saint-Georges, à Nancy, où elle devait demeurer pendant soixante-treize ans. René fit ériger dans cette église un mausolée sur lequel le duc de Bourgogne était représenté les mains jointes, l’épée au côté, la couronne en tête. Vers la fin de son règne, Charles-Quint obtint de sa nièce Christine de Danemark, duchesse régente de Lorraine, l’autorisation de faire transporter de Nancy à Bruges les ossements de son bisaïeul. Cette translation, à laquelle présida le roi d’armes de l’ordre de la Toison d’Or, se fit, en 1550, avec une pompe extraordinaire. À Bruges, magistrats, noblesse, clergé, conduisirent processionnellement le cercueil du dernier duc de Bourgogne devant le grand autel de l’église Notre-Dame, à droite de la tombe de la duchesse Marie. Ce fut là même que, par l’ordre de Philippe II, fut érigée à la mémoire de Charles, duc de Bourgogne, comte de Flandre, etc., une riche tombe d’airain doré, sur laquelle on le représenta « en armes, avec manteau et chapeau ducal. » Ce magnifique