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mort, et l’exécution devait avoir lieu en présence du duc. Celui-ci cria lui-même au bourreau : « Cesse ! débande lui les yeux et lève-le. » La colère de Charles se tourna contre les Liégeois qui, secrètement excités par Louis XI, s’étaient révoltés contre la suzeraineté bourguignonne et tenaient assiégé dans Huy leur évêque, Louis de Bourbon, cousin germain du duc. Celui-ci reconnut bientôt la main qui avait excité ce nouveau soulèvement ; il dit rudement au connétable de Saint-Pol, l’ambassadeur du roi de France : « Je veux savoir une fois si je suis maître ou valet. » Il devint maître. Vainqueur à Brusthem, le 28 octobre 1467, il fait détruire les remparts de Liége et dépouille la commune humiliée de ses priviléges les plus précieux. Il recherche ensuite l’alliance de l’Angleterre pour l’opposer aux continuelles machinations de Louis XI. Le 2 juillet 1468, il épouse à Damme Marguerite d’York, sœur du roi Édouard IV.

Charles, triomphant, était alors, selon des expressions du temps, « prince et duc sans compagnon ; » on voyait en lui le souverain redouté du plus riche peuple et du plus puissant pays de l’Europe centrale. La cour de Bourgogne éclipsait toutes les autres par sa magnificence et son faste. Chastellain et Olivier de la Marche l’ont suffisamment décrite ; bornons-nous à indiquer les habitudes du prince. Chaque matin il assistait à la messe, soit dans sa chapelle, soit dans une église publique, et s’y rendait suivi d’un long cortége. Il dînait toujours en grande cérémonie, entouré de toute sa cour et servi par les plus hauts dignitaires. Le banquet terminé, chacun d’eux prenait place, suivant l’ordre des préséances, sur une rangée de bancs alignés des deux côtés de la salle, et le duc s’asseyait sous un dais dressé sur une estrade élevée de trois degrés au-dessus du parquet et tapissée de drap d’or. Trois fois par semaine l’audience publique avait lieu dans la même salle et en présence des mêmes personnages. Charles y recevait les plaintes de tout venant, sans excepter les plus humbles, faisait lire leurs requêtes tout haut devant lui et signifiait immédiatement sa volonté.

Charles assemblait son armée à Péronne pour porter secours au duc de Bretagne, son allié, qui était attaqué par les troupes de Louis XI, lorsque ce dernier prit une résolution inattendue. Le 9 octobre 1468, il partit lui-même pour Péronne afin de traiter avec son puissant voisin. On sait ce qui advint. Charles, apprenant tout à coup un troisième et plus formidable soulèvement des Liégeois, menaça ouvertement le roi dont la complicité lui paraissait hors de doute. « C’est le roi, s’écria-t-il, qui, par ses ambassadeurs, a excité ces mauvais et cruels gens de Liége. Par Saint Georges ! ils seront cruellement punis, et lui-même aura sujet de s’en repentir. » Il fut sur le point de faire arrêter Louis XI et d’appeler le duc de Guyenne, son frère, au gouvernement du royaume. Philippe de Commines, témoin et acteur de ce mémorable incident, a dépeint en traits ineffaçables la fureur, les angoisses, puis les hésitations du puissant duc de Bourgogne. Enfin il écouta les conseils plus modérés, mais plus perfides, de quelques serviteurs que Louis avait déjà su gagner, se contenta de lui faire signer un nouveau traité plus dur que les précédents et de le contraindre à le suivre dans une nouvelle et décisive expédition contre Liége. Le 15 octobre, Charles et Louis, suivis de l’armée bourguignonne, se mirent en route et arrivèrent le 27 devant Liége, naguère si redoutable, mais qui, actuellement, n’avait plus ni remparts ni artillerie. Le 30, après l’extermination des héros de Franchimont, les Bourguignons, au nombre de quarante mille, pénétrèrent dans la cité de deux côtés à la fois. Presque tous les habitants s’étaient dispersés : les uns s’étaient réfugiés dans les églises ; d’autres avaient cherché un asile dans les Ardennes. Louis, consulté sur le châtiment que méritaient les Liégeois, répondit avec son astuce ordinaire : « Celui qui veut chasser les oiseaux doit brûler leur nid. » Charles suivit ce conseil : Liége eut le sort de Dinant. On a toutefois exagéré le nombre des infortunés qui furent massacrés par les soldats ou jetés