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ville de Samoucy en la seconde none de décembre. Mis fu en sépulture en l’église de Saint-Denis en France, de lès le roy Pepin son père. » (Chronique de Saint-Denis, ad ann. 771.) Éginhard, le biographe officiel de Charles, est un peu plus explicite. « Le roi Charles, dit-il, ayant tenu, selon l’usage, une assemblee générale à Valenciennes, partit de cette ville pour prendre son quartier d’hiver (à Attigny, sur la limite des deux fractions de l’Austrasie). Il s’y trouvait depuis peu de temps, lorsque son frère Carloman mourut dans la villa de Samoussy (près de Laon), le deuxième jour des nones de décembre (4 décembre). » (Annal. ad ann. 771.) Mais pas une ligne, pas un mot qui indique que Charles ait donné le moindre regret au frère qu’il venait de perdre. Au contraire, voyons ce qui passe. A peine Carloman, expiré, une terreur, qui est demeurée le secret de l’histoire, s’empare de sa veuve Gilberge[1], qui se hâte d’enlever de leur berceau ses deux jeunes enfants et de s’enfuir au delà des Alpes avec quelques-uns d’entre les principaux leudes restés fidèles à la cause du malheur; et parmi lesquels était probablement cet Otger[2] que le moine du Saint-Gall fera apparaître plus tard avec Didier, roi des Lombards, sur les remparts de Pavie et que les romans du moyen âge ont rendu si célèbre sous le nom d’Ogier le Danois ou l’Ardennois. L’infortunée reine ne se crut en sûreté que sous la protection de Didier, devenu l’irréconciliable ennemi de Charles depuis que celui-ci méditait de lui renvoyer honteusement sa fille Désiderata.

Sans aucunement s’inquiéter des fugitifs, qu’il est bien sur d’atteindre un peu plus tard, Charles ne songe qu’à s’emparer du royaume de son frère. Aussi bien, comme si la fortune eût voulu lui servir de complice, en lui faisant choisir précisément, cette année-là, Attigny pour sa résidence d’hiver, il se trouve tout à fait à la portée des événements. Il se rend donc rapidement à Corbeny, situé près de Craonne et non loin de Samoussy : « Là, nous disent les Annales de Metz (d’accord en ce point avec celles d’Éginhard), arrivèrent les chapelains Folcar et Folrad avec d’autres évêques et prêtres, outre les comtes Wirin et Adelard avec d’autres leudes distingués qui avaient relevé de Carloman, et ils conférèrent l’onction royale à Charles qui obtint heureusement la monarchie entière des Francs. » Ainsi le fait était accompli. Dès ce moment, Charles pouvait prétendre à devenir un jour Charlemagne, et l’Occident à faire de la cour d’Aix-la-Chapelle une rivale de celle de Bysance.

La fuite de la veuve de Carloman et l’accueil que lui fit Didier, contribuèrent peut-être à décider Charles à hâter l’expédition qu’il entreprit contre ce roi, malgré la vive opposition de ses leudes. On sait que cette campagne, entreprise en 773, ne se termina que l’année suivante. Elle eut pour résultat la destruction du royaume des Lombards. Leur roi fut pris avec toute sa famille, excepté son fils Adalgis qui trouva un asile à Constantinople, chez l’empereur Constantin Copronyme. Lui-même, avec sa femme et ses autres enfants, fut amené prisonnier en Austrasie et confié à la garde d’Agilfrid, évêque de Liége. Que devinrent la femme et les deux fils de Carloman? Tout ce que nous savons, c’est que, pendant le siége de Pavie où Didier s’était enfermé, elle s’enfuit à Vérone avec ses enfants et que, Charles s’étant emparé de cette place, ils tombèrent tous les trois, avec le leude austrasien Otger, entre les mains du roi qui les amena probablement en France où leurs traces se perdirent à tout jamais. Dans quelle tombe ou dans quel monastère cette femme eut-elle à expier le tort d’avoir été reine, et ces enfants le tort d’avoir été fils de roi? Ici nous laissons le champ des conjectures ouvert tout large.

Quant à Carloman lui-même, il nous reste un dernier mot à dire au sujet de sa sépulture. D’après la chronique de Saint-Denis, comme nous avons vu, il fut inhumé dans l’abbaye de cette ville où reposait déjà son père Pepin. Cependant

  1. Une note ajoutée au Codex de Paris (n° 4628) ajoute : Quæ dicitur Theoberga.
  2. Sigebert de Gembloux l’appelle Autarius (Chronic. ad ann. 774).