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convoqua à Saint-Denis une assemblée générale du royaume et que là, en présence des leudes et des évêques, il fit lui-même le partage de ses États entre ses deux fils. Quoi qu’il en soit, ce partage différait essentiellement de celui que Charles Martel avait établi; car les indications géographiques que nous fournissent à ce sujet le troisième et le quatrième continuateur de Frédégaire (cap. 110 et 136), d’accord avec la réalité des faits, ne peuvent en aucune manière se concilier avec ce que Éginhard, la chronique de Verdun et Adrevald nous disent des lots assignés aux deux jeunes princes. En effet, soit que le nouveau partage ait été opéré par le roi lui-même, soit qu’il l’ait été par ses fils, on remarque qu’il n’y est plus tenu aucun compte de la délimitation historique des royaumes mérovingiens, et ce fait a une importance bien plus grande qu’on ne pourrait le croire au premier aspect. Aussi bien, il constitue un premier pas vers l’effacement de toute distinction entre les diverses tribus de la race franque, distinction sur laquelle était basée l’ancienne division territoriale. Depuis l’avénement des Pepin à la mairie palatine, l’Austrasie — où la race conquérante était plus dense qu’elle ne l’était dans la Neustrie et où l’esprit guerrier avait résisté avec plus d’énergie à la mollesse gallo-romaine, — était devenue le véritable centre de la natalité nationale. La possession de ce royaume devait nécessairement un jour ou l’autre assurer à celui qui en serait investi une action prédominante sur les deux royaumes voisins, Neustrie et Bourgogne. Puis encore la véritable force d’expansion de l’État fondé par Charles Martel et réalisé par Pepin le Bref se trouvait du côté du nord et de l’est, où il restait à s’assimiler des races jeunes, belliqueuses et auprès desquelles on pouvait invoquer la communauté des origines nationales, bien plutôt que du côté de l’ouest et du sud, où les anciens conquérants, perdus au milieu des populations plus romanisées et plus efféminées de la Gaule, étaient déjà des instruments presque usés dans la main de l’histoire. Telles sont évidemment les considérations qui ont dû diriger les leudes, soit sous Pepin, soit sous ses fils, pour leur faire abandonner l’ancien mode de partage par coupe longitudinale et adopter un système tout nouveau. Celui-ci consista à tracer sur la carte de la Gaule et de la Germanie une ligne presque diagonale qui, partant du littoral de l’Océan atlantique de manière à couper en deux l’Aquitaine, la Neustrie et l’Austrasie, franchissait le Rhin au-dessus de Mayence. Tout le territoire situé au nord-ouest de cette ligne constitua la part de Charles, et le reste forma le lot de Carloman. Des trois anciens royaumes mérovingiens il ne restait donc intact que celui de Bourgogne. Mais le sol germanique était ouvert à la fois aux deux princes sur un développement de frontières presque égal, Charles pouvant à son gré dominer de son épée les Frisons, les Saxons et la Thuringe, et Carloman pouvant, par une partie de l’Austrasie ou par l’Alsace, tenir le pied posé sur l’Alamanie[1]. Si cette division territoriale avait pu se maintenir, elle eût probablement fait prendre un tout autre cours à l’histoire des luttes qui ensanglantèrent si souvent les bords du Rhin et dont le dernier mot n’a peut-être pas encore été dit. C’est pour ce motif que nous avons tenu à l’indiquer avec quelque détail. Nous y avons tenu aussi pour démontrer que la qualification de roi d’Austrasie attachée au nom de Carloman n’est pas rigoureusement justifiée par les faits géographiques.

Une fois le partage opéré, les deux nouveaux rois sont couronnés le même jour, le 9 octobre 768, Charles à Noyon, Carloman à Soissons.

Dès ce moment, éclate entre les deux frères une inimitié dont les véritables causes sont encore inconnues, pour ne s’expliquer peut-être que lorsque le mystère dont les historiens contemporains, tous dévoués à Charles, ont entouré son berceau, sera définitivement éclairci. Cette discorde, Pepin ou l’assemblée des leudes avait, sans doite, voulu la prévenir, en divisant les États franks de manière à ne

  1. Einhard, Annal. ad ann. 786. Édit. Pertz, noie 41. — Comp. aussi Luden, Geschichte des Teutschen Volkes, t. IV, p, 241.