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becq dut se mettre en route. Il arriva à Constantinople, harassé de fatigue, au commencement de 1556. La seconde négociation qu’il y allaiy entamer ne dura guère moins de sept années. Nous n’en ferons pas un récit détaillé qui nous mènerait trop loin : bornons-nous à dire que, après s’être vu en butte à des menaces terribles; après avoir été confiné dans une étroite prison, avec défense à qui que ce fût de le visiter; après avoir, dans un moment où la peste sévissait à Constantinople, sollicité vainement la faculté de s’établir dans une autre résidence; après avoir eu à lutter et contre les traverses que, jusqu’à la paix de Cateau-Cambresis, la diplomatie française ne cessa de lui susciter, et contre le mauvais vouloir des ministres de la Porte, il parvint enfin, à force d’habileté, de constance, d’énergie unie à beaucoup de patience et de douceur, à conclure avec le divan, à des conditions avantageuses pour l’Empereur (Ferdinand avait succédé à son frère sur le trône impérial, en 1558), une trève de huit années et qui pouvait se prolonger encore, si dans l’intervalle il ne survenait entre les deux cours quelque sujet de guerre. Il obtint aussi, et ce fut un succès considérable, que le sultan lui remit trois des capitaines principaux que Dragut avait faits prisonniers à l’île de Gerbes, en 1560 : don Alvaro de Sande, don Sancho de Leyva et don Beringuer de Requesens. La France avait fait les démarches les plus instantes auprès du divan pour qu’ils lui fussent délivrés, sans pouvoir y réussir.

Busbecq quitta Constantinople vers la fin du mois d’août 1562; il était accompagné d’Ibrahim Strozzeni, porteur des pleins pouvoirs de Soliman pour expliquer à l’Empereur les clauses du traité qui ne lui paraîtraient pas suffisamment claires et en recevoir la ratification de sa main. Ferdinand était allé à Francfort, pour y faire élire roi des Romains l’archiduc Maximilien, son fils aîné; il manda à Busbecq de l’attendre à Vienne avec Ibrahim, trouvant dangereux de laisser traverser l’Allemagne par le représentant d’une nation aussi ambitieuse, aussi retoutable que la nation ottomane. Ibrahim se montra sensible à cette défiance. Busbecq représenta à l’Empereur que la Porte pourrait s’offenser du retard apporté à la ratification de la trève; que d’ailleurs il était plus à désirer qu’à craindre que l’envoyé turc vît par lui-même combien son empire était florissant. Ferdinand, se rendant à ces raisons, fit savoir à son ambassadeur qu’il pouvait venir le trouver à Francfort avec Ibrahim. Busbecq arriva dans cette ville impériale le 21 novembre; il y précédait de deux jours l’envoyé turc, ayant jugé nécessaire de prendre les devants pour informer l’Empereur de certaines choses dont il importait qu’il eût connaissance. Ferdinand lui fit un accueil distingué : « Vous avez, lui dit-il, rempli ma commission suivant mes intentions, et j’ai pour agréable tout ce que vous avez fait : aussi n’oublierai-je rien pour vous donner des marques de mon affection et de ma bienveillance. » Le titre de son conseiller qu’il lui conféra en fut un premier témoignage. Le 27 novembre, Ibrahim fut reçu en audience solennelle par l’Empereur, en présence des princes et états de l’Empire, et lui présenta les lettres du sultan. La ratification du traité fut expédiée par la chancellerie impériale peu de temps après.

Ayant rempli avec honneur la mission dont il avait été chargé, Busbecq se flattait de pouvoir se retirer dans sa patrie et d’y jouir des douceurs de la vie privée. La gêne, la contrainte, auxquelles on est astreint dans les cours, lui inspiraient du dégoût : « Tout, — écrivait-il à son ami le seigneur d’Indevelde, — tout m’y a toujours présenté des images désagréables. C’est un chaos de misères artificieusement voilées d’un faux éclat, où l’on trouve beaucoup de déguisement; d’où la candeur, la vérité et la probité sont bannies. C’est le siége de l’envie et le trône de la mauvaise foi; qui que ce soit n’y a sa fortune solidement appuyée : on est, à chaque instant, exposé au caprice, et le plus sage fait-il un pas sans être accompagné de la crainte de sa disgrâce? Les princes ne