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adresser directement, d’une ville de Hainaut, une lettre qui contenait ces paroles brutales : « Apprends que les Hannoniens sont aussi courageux, que les Brabançons. Tu as appaisé leur courroux par la menace qu’ils t’ont faite. Tes jours étaient en danger. Ne dissipes pas tes craintes ; remplis les vues du monarque, ou de ton palais ne sors jamais, Italien chaud, violent et traître. » Il arrivait fréquemment qu’à sa sortie du théâtre, il fût accueilli par des huées[1]. Lorsqu’éclatèrent, dans la nuit du 27 au 28 mai et dans la journée du 30, les émeutes qui obligèrent les gouverneurs généraux à révoquer toutes les infractions faites à la Joyeuse-Entrée, de quelque nature qu’elles fussent, sa vie eût été exposée à de grands dangers, si des bourgeois bien intentionnés n’avaient envoyé quelques-uns d’entre eux pour garder sa demeure et veiller à sa sûreté personnelle.

On sait qu’à la suite de ces événements, Joseph II manda à Vienne des députés de toutes les provinces des Pays-Bas, et qu’il y fit venir aussi les gouverneurs généraux et le ministre plénipotentiaire, en commettant le gouvernement, par intérim, aux soins du général comte de Murray (voir ce nom), commandant des armes. L’archiduchesse Marie-Christine et le duc son époux quittèrent Bruxelles dans la nuit du 18 au 19 juillet ; le comte de Belgiojoso en partit dans la soirée du 19, pour n’y plus jamais revenir : l’empereur lui donna pour successeur le comte de Trauttmansdorff (voir ce nom), dont l’administration fut bien plus malheureuse encore que la sienne. Il mourut à Vienne, sans alliance, en 1802.

Dans un petit livre, plein d’anecdotes curieuses sur les derniers temps du régime autrichien, qui parut il y a une quarantaine d’années, on lit, à propos de l’hôtel que le gouvernement fit construire pour les ministres plénipotentiaires, au Parc (aujourd’hui le palais du roi) : « Le premier qui vint occuper ce palais fut le comte de Belgiojoso, Italien plein d’esprit, que Joseph II affectionnait beaucoup, et dont le nom est fameux dans les fastes de la galanterie. Ce ministre fit élever, à grands frais, dans le Parc, un petit temple, en forme de rotonde, orné par les mains de la Volupté : il l’avait dédié à Vénus, patronne qu’il servait avec une dévotion bien méritoire sans doute, si parfois Son Excellence n’avait négligé les affaires publiques, pour se livrer avec trop d’assiduité à son culte[2] » Belgiojoso mérite-t-il en effet le reproche de négligence que lui adresse l’écrivain auquel nous empruntons ces lignes ? Nous ne saurions le dire : ce qui est certain, c’est qu’il apportait, dans le maniement des affaires de l’État, des principes en harmonie avec le progrès de la civilisation et des lumières ; nous en citerons un exemple. Une bande d’environ quatre-vingts vagabonds, qui avait commis toutes sortes de vols et de brigandages dans les campagnes, fut appréhendée, en 1784, par les gens du prévôt de l’hôtel et amenée dans les prisons de Bruxelles. Les juges assesseurs de l’office du prévôt, pour découvrir les complices de ces vagabonds, ordonnèrent que les principaux d’entre eux fussent appliqués à la question. Comme, d’après une décision récente de l’empereur, aucune sentence portant condamnation à la torture ne pouvait-être exécutée sans que le gouvernement l’eût autorisé[3], cette affaire fut soumise aux gouverneurs généraux.

  1. Lettre de Belgiojoso au prince de Kaunitz, du 22 mai 1787.
  2. Bruxelles, les palais de Laeken et de Tervueren ; par un vieux Belge. Bruxelles, 1824, Stapleaux. In-12, p. 2.
  3. Décret du 3 février 1784, adressé aux conseils de justice.