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les principes qu’ils nous ont transmis[1]. »

Une année à peine s’était écoulée depuis la prise de Jérusalem, lorsque Godefroid revenant d’une expédition contre les Sarrasins tomba malade inopinément. Il s’était arrêté chez l’émir de Césarée, où il avait mangé, dit-on, une pomme de cèdre dont il se trouva incommodé. Il se fit transporter à Joppé, puis à Jérusalem. Mais bientôt tout espoir fut perdu et après cinq semaines de maladie, ce grand homme, âgé de trente-neuf ans seulement, rendit le dernier soupir, laissant inachevée l’œuvre pieuse et héroïque à laquelle il s’était voué.

Il fut enterré au pied du Calvaire, près du tombeau de Jésus-Christ; la tombe qui lui fut érigée plus tard portait l’épitaphe suivante :

Hic jacet inclytus dux Godefridus de Bullon qui totam istam terram acquisivit cultui christiano, cujus anima regnet cum christo. Amen.

Cette épitaphe fut détruite en 1808. Les religieux de Saint-François conservent dans l’église du Saint-Sépulcre la gigantesque épée du héros de la première croisade; peu de bras peuvent la soulever.

L’imposante figure de Godefroid de Bouillon nous apparaît sous deux aspects différents: il y a en lui le personnage légendaire qui a été transmis d’âge en âge par la tradition, qui a été célébré par la poésie; il y a le personnage historique, le prince distingué par ses qualités physiques, ainsi que par ses vertus, sa bravoure, sa générosité, sa piété, mais qui s’est trouvé mêlé aux violences de son siècle barbare et qui a lui-même payé son tribut aux faiblesses de la nature humaine.

Le personnage légendaire est un être d’une nature supérieure, doué de toutes les perfections, placé en quelque sorte en dehors de l’humanité et prédestiné au sort le plus glorieux; venant au monde avec l’image d’une épée empreinte sur la partie extérieure du bras droit, depuis l’épaule jusqu’à la poitrine[2]. C’est un géant, rien ne peut résister à sa force musculaire; il étouffe un ours dans ses bras[3]; d’un seul coup de sa formidable épée, non-seulement, il abat des têtes de chameaux, mais il fend en deux un gigantesque Sarrasin, de telle sorte qu’une moitié du corps tombe aux pieds du vainqueur, tandis que l’autre moitié, emportée par le cheval, va jeter l’épouvante dans les rangs ennemis[4].

Une moitié chéy sur le pret verdoiant
Et ly aultre moitiet demeura sur Bauçant.

dit le poëte[5]. Rien ne peut non plus être comparé aux exploits de cet Hercule[6] : c’est lui qui tue de sa main, sur le champ de bataille de Volckheim, le comte Rodolphe de Rhinfeld[7]; c’est lui qui entre le premier dans Rome[8]; c’est lui nécessairement qui entrera le premier dans Jérusalem[9]. Dieu lui témoigne manifestement ses desseins et sa protection en lui envoyant pour l’aider à vaincre ses ennemis, saint Georges, saint Denis, saint Martin et autres saints.

Couviers de blanques armes as croix d’or reluisant[10].

Quant au personnage historique, celui dont nous avons voulu tracer l’esquisse biographique, c’est un héros illustre, mais c’est un homme. « La nature, » dit M. le baron De Reiffenberg, dont l’autorité doit être ici invoquée, « la nature lui avait donné tous les signes qui annoncent la puissance aux yeux de la multitude : un air noble et chevaleresque, une haute stature, une force musculaire presque fabuleuse, un courage héroïque, une aptitude extraordinaire à se jouer des fatigues et des privations; espoir de ses compagnons d’armes dans les crises inattendues d’une expédition sans exemple; leur modèle sur le champ de bataille. A tant d’avantages, il joignait cette piété fervente et rigide qui désigne au vulgaire

  1. Recherches sur l’origine et la nature des inaugurations des princes souverains des Pays-Bas.
  2. Valère André, Bibl. Belg., p. 291.
  3. Guillaume de Tyr. — Albert d’Aix.
  4. Albert d’Aix.
  5. Le chevalier du Cigne, V. 6329.
  6. Guillaume de Waha, Labores Herculii Christiani Godefredi Bullioni.
  7. Sigeberti, Gemblacinsis chronog.
  8. Diericxens, Antv. Christ., etc.
  9. Michaud, Hist. des Croisades.
  10. Le chevalier du Cigne, V. 9555 et 9610.