Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illustré par ses exploits dans la terre sainte[1].

On doit aussi ranger parmi les fables inventées par les chroniqueurs et répétées par l’ignorance et la superstition, le prétendu vœu qu’aurait fait Godefroid, de se rendre dans la terre sainte pour expier le sacrilége d’avoir fait la guerre contre le pape. Godefroid, en allant au siége de Rome avec l’armée impériale, n’avait fait que céder à son devoir féodal et, d’après les idées du temps, nul ne pouvait lui en faire un grief; il ne put donc en éprouver lui-même aucun remords.

Après la prise de Rome, Godefroid revint à Bouillon où il eut bientôt à lutter de nouveau contre les prétentions ambitieuses des princes voisins : l’évêque de Verdun n’avait pu lui pardonner la construction du château de Stenay; il renouvela son alliance avec le comte de Namur, et ces deux princes vinrent ensemble assiéger Stenay (1086). Ils livrèrent à Godefroid une bataille dont le succès resta indécis : néanmoins, apprenant que les deux frères de Godefroid, Eustache et Bauduin, amenaient des renforts de France et d’Allemagne, ils se décidèrent à lever le siége de Stenay. Quelque temps après, l’évêque de Liége ménagea la paix entre les parties et la propriété de Bouillon et de Verdun fut désormais assurée à Godefroid, qui s’empressa de se joindre aux princes de la Belgique pour conclure la trêve de Dieu, ou paix de Liége, dans le but de réprimer les mœurs sauvages de cette époque toute barbare encore[2]. Par sa valeur et sa fermeté le jeune prince maintint les grands vassaux de la Lorraine et devint l’ar- bitre du duc de Limbourg et de l’abbé de Saint-Hubert dans leurs différends avec l’évêque de Liége, Obert (1095). Lui-même eut quelques contestations avec ce prélat ambitieux relativement à l’abbaye de Saint-Trond[3].

Lorsque le pape Urbain II résolut de faire un appel à la chrétienté pour délivrer Bysance de la présence des Mahométans et pour chasser les infidèles de la Syrie et de l’Asie Mineure où les chrétiens étaient traités avec la dernière cruauté, Godefroid de Bouillon ainsi qu’une foule de princes et de seigneurs belges répondirent à la voix de Pierre l’Ermite et prirent la Croix. Ce fut dans le concile de Clermont, en Auvergne (1095), que Godefroid adopta la résolution de s’associer à la croisade prêchée par le pape Urbain. Il s’occupa aussitôt à organiser son armée et à se procurer les ressources qu’exigeait un pareil armement : il vendit ses châteaux de Stenay et de Mouzon à l’évêque de Verdun, auquel il remit le comté dont cette ville était le chef-lieu; il accorda aux habitants de Metz le rachat de la suzeraineté qu’il exerçait sur leur ville et vendit la Veluwe à Otton de Nassau, premier comte de Gueldre; enfin il engagea à l’évêque de Liége, moyennant la somme de mille trois cents marcs d’argent pur et trois marcs d’or, la seigneurie de Bouillon, sous condition de pouvoir, lui ou ses héritiers, en opérer le retrait pendant le terme de quatorze années[4]. Il vendit encore d’autres domaines tels que le château de Ramioul, situé sur la Meuse, entre Liége et Huy, et pour assurer le repos de son âme, il fit aux églises de nombreuses donations et constitua une multitude de fondations pieuses. Toutefois il conserva la dignité ducale, mais sa mère, dans le but d’augmenter encore les ressources de son fils pour soudoyer son armée, vendit au chapitre de Nivelles les alleux de Genappe et de Baizy. C’est donc avec raison qu’on a dit que les princes de l’Église et les établissements religieux s’enrichirent des dépouilles des chrétiens qui allèrent mourir pour la défense de la Croix.

Godefroid partit pour la croisade le 10 août 1096, avec dix mille cavaliers et soixante-dix mille fantassins[5]; ses deux frères, Eustache et Bauduin, ainsi que son cousin Bauduin du Bourg, l’accompagnaient; les deux derniers, qui devaient un jour devenir rois de Jérusalem, servaient en simples chevaliers dans l’ar-

  1. Von Sybel, Geschichte des ersten Kreuzzuqs.
  2. Borgnet, Histoire du comté de Namur.
  3. Ernst, Histoire du Limbourg.
  4. Chapeauville, t. II, p. 40.
  5. Anne Commène.