Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Neptune en bronze, haut de six brasses, domine la composition; aux quatre coins des syrènes, tout autour des enfants et des mascarons d’invention bizarre. Le Neptune est admirable, il est plein de caractère et de grandeur; on reproche à cette figure un certain manque de naturel, défaut qui se remarque dans plusieurs œuvres de notre artiste, mais non dans toutes; on ajoute encore que le piédestal étant trop petit, il en résulte de la confusion. Cet ouvrage fut achevé en 1563. Le sujet adopte par l’artiste rappelle un épisode intéressant dans lequel le Bologna joua un rôle et qui n’est pas, peut-être, sans liaison avec la fontaine. Un grand bloc de marbre de Carrare avait été extrait de la carrière pour le sculpteur Baccio Bandinelli, depuis plusieurs années; il était haut de six brasses et demie et large de cinq. Baccio avait donné an propriétaire du bloc cinquante écus d’arrhes et en était devenu possesseur. Il obtint de Cosme de Médicis, au service duquel il était, et grâce à la protection de la duchesse Éléonore, d’en faire un Neptune sur un char traîné par des veaux marins, groupe destiné à une fontaine que l’on devait construire sur l’une des places de Florence. Comme la plupart des projets de Baccio, celui-ci resta sans exécution pendant cinq ans; à cette époque une foule d’intrigues s’agitèrent autour du bloc pour l’enlever à Baccio; un concours fut autorisé par le duc; Benvenuto Cellini et l’Ammanati firent des modèles, mais Baccio trouva moyen de rapetisser méchamment le marbre et d’empêcher ainsi l’exécution des modèles déjà achevés; il arriva par ses manœuvres à obtenir encore une fois la préférence, et un atelier fut construit. La mort de Baccio vint tout remettre en question. C’était en 1559; de nouvelles rivalités se produisirent et un concours fut ouvert. Parmi les rivaux les plus ardents étaient Benvenuto et l’Ammanati; Vincent Danti, de Pérouse et Jean Bologne se mirent aussi sur les rangs, sans espoir de réussir, mais afin de faire mieux connaître leur talent. Le Bologna, ainsi que Vasari l’appelle, fit son modèle dans le couvent de Santa Croce. L’Ammanati fut le vainqueur.

Voici ce que dit Vasari de notre compatriote : « Giovan Bologna n’étant pas assez connu pour les ouvrages en marbre, le duc n’alla pas même voir son modèle, quoique, selon les artistes et les connaisseurs, ce fût le meilleur de tous. »

Cette version n’est point tout à fait celle de Baldinucci qui, d’accord avec Vasari pour nous dire que le modèle du Bologna fut hautement jugé le meilleur, ajoute « qu’il aurait été chargé d’exécuter la fontaine, n’était la crainte du Grand-Duc de perdre un aussi grand bloc de marbre par l’inexpérience du jeune sculpteur. »

Et maintenant, n’est-il pas permis de supposer que le modèle du Neptune de Florence, si bien jugé dans Vasari et les autres auteurs italiens, servit pour la fontaine de Bologne? C’est dans cette dernière ville encore que notre sculpteur se maria; mais cette union fut bientôt brisée par la mort de la jeune femme qui n’avait pas donné d’enfants à son mari. C’est à Florence que Jean Bologne séjourna la plus grande partie de sa vie, c’est là qu’il travailla sans discontinuer jusqu’à la vieillesse la plus avancée, puis- qu’à quatre-vingts ans il sculpta encore les anges destinés à son propre tombeau. C’est à Florence, enfin, qu’il se créa un grand nombre de protecteurs et d’amis, grâce à son caractère plein de douceur et de dévouement. Toujours prêt à obliger, il n’empoisonna pas son existence par cette envie cruelle qui remplit de tragiques événements l’histoire des artistes italiens; ses conseils, son aide étaient acquis à celui qui les réclamait; il était heureux des succès d’autrui, il admirait toute belle chose pour sa beauté en elle-même, aussi ce fut un deuil général lorsque le vaillant octogénaire quitta ce monde sans avoir jamais souffert d’aucune infirmité et sans que la grandeur et l’énergie de son talent eussent jamais été altérées. L’histoire de sa vie se résume dans celle de ses innombrables travaux; c’est donc écrire sa biographie que de parler de ses ouvrages.

Cependant il est utile de rappeler quels