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des fautes et les dommages-intérêts, sur les preuves, sur les modalités des obligations, sur la possession et ses avantages ! Combien de fois on les a altérées en croyant les reproduire ! Et quelle puissante unité dans le droit romain, sinon à l’origine, du moins dans ses développements successifs ! Pas plus que le droit français, le droit romain ne fait état de diverses classes de personnes libres régies par des lois différentes. Écoutons encore M. Valette, reproduisant la pensée de son ami : « C’est toujours Titus et Sempronius, simples citoyens, que mettent en scène les jurisconsultes ; ou du moins, à cet égard, les exceptions sont fort rares. L’esclavage existe là, sans doute, à la grande honte de l’antiquité ; mais l’esclave est en quelque sorte absorbé dans la personnalité du maître, et on peut étudier assez à fond les matières les plus intéressantes du droit romain sans trop se préoccuper des complications que vient y jeter de temps à, autre l’existence de l’esclavage. » Même observation en ce qui concerne les affranchis et les questions relatives aux droits réels. « D’âge en âge, on voit les fictions s’effacer et la réalité des faits et de la pratique l’emporter sur le rigorisme des mots. Tout cela s’opère sous l’empire d’une raison calme et élevée, sans passions exclusives, sans parti pris… On pourrait avoir étudié une bonne partie des Pandectes, sans presque deviner sous quelle forme de gouvernement vivaient les jurisconsultes de l’époque classique, si l’on ne voyait mentionné de temps en temps quelque rescrit de prince ou quelque sénatus-consulte ; et encore ces actes n’offrent-ils aucune discordance avec le reste de l’ouvrage ; on n’y voit point les traces d’un esprit violent d’action ou de réaction. » Blondeau ne cherchait pas, au reste, à faire passer le droit romain pour le type de la perfection absolue ; qu’il fût question de lois anciennes ou de lois modernes, sa critique était impitoyable et son exigence était toujours la même ; il ramenait tout aux règles du bon sens. Seulement ses analyses étaient parfois si scrupuleuses et si délicates, qu’elles en devenaient obscures ; à force de vouloir éviter le vague et le ténébreux, il subtilisait à son insu, et ses théories philosophiques, trop dédaigneuses de l’histoire, lui attiraient quelque peu la réputation d’esprit parodoxal.

Il avait une prédilection marcquée pour ce qu’on appelait, sous l’Empire, l’idéologie. Locke et Condillac, de Gérando et Destutt de Tracy le séduisaient ; Descartes le préoccupait vivement, mais sans le convaincre. Le milieu où s’écoulèrent ses belles années, la fréquentation d’une société spirituelle, mais peu spiritualiste, ses inclinations naturelles, enfin, tout contribua, ce semble, à le faire pencher vers les doctrines desséchantes, mais spécieuses, d’Helvétius et surtout de Jérémie Bentham. Sa vie tout entière, au surplus, la droiture de ses intentions, sa bienveillance et sa candeur ne cessèrent de donner le démenti le plus complet à la philosophie qu’il n’hésitait pas à professer.

Lui-même ne s’exprime pas autrement au sujet de l’auteur de la Déontologie (Nouv. Biogr. générale, art. Bentham). Mais il s’efforce en même temps de faire absoudre, en l’interprétant, le système de son maître. « Ce système, dit-il, ne consiste pas, comme beaucoup de personnes le croient, dans cette règle de conduite qui soulève une juste indignation : Consulte ton intérêt sans t’inquiéter de l’intérêt des autres ; mais bien dans ce principe : Que l’homme ne peut être véritablement heureux en faisant le malheur des autres hommes. » Il n’en est pas moins vrai que, dans la première partie de sa carrière, Blondeau, dépassant le penseur anglais en subtilités quintessenciées, essaya de réduire en formules les motifs d’utilité personnelle qui peuvent déterminer le législateur à faire de bonnes lois. — Équité, justice, droit naturel, répétait-il volontiers, ne sont que des manifestations vagues et confuses de la seule idée vraie, claire et fondamentale, celle de l’utile. Le principe de l’utilité, bien compris, se suffit à lui-même ; il pousse à l’examen des faits, soit matériels, soit moraux, et des suites qu’ils entraînent ; il est, par conséquent, une