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honorer les productions de l’art et de l’intelligence. De Bles fit le pèlerinage de l’Italie et il paraît qu’il y séjourna assez longtemps ; il se fixa dans l’État vénitien et y laissa de ses ouvrages. Lanzi, qui le compare au Bassan pour certaines de ses compositions, retrouve dans sa manière un peu de la crudité des anciens, vante son originalité, surtout dans ses scènes de fantasmagorie, enfin le fait naître en Bohême et mourir à Ferrare, deux erreurs copiées de Lomazzo. La Biographie générale de Didot fait de notre De Bles « un artiste français, né à Bovines ; » cependant, si l’on en excepte une tradition qui fait mourir De Bles à Liége, on ne sait plus rien de sa vie, et il n’est pas probable qu’on en sache jamais davantage. Est-ce la même tradition qui le fait naître en 1480 et décéder en 1550 ? Nous l’ignorons ; mais, dans tous les cas, ces dates ne s’appuient sur aucun fait authentique. Puisque nous ne pouvons malheureusement rien découvrir de positif sur la vie de De Bles, arrêtons-nous à son talent, à ses œuvres, et parmi celles-ci, étudions quelques instants les meilleures ou les plus connues. — De Bles est, après Patenier et avec lui, le créateur et le père du paysage dans nos contrées. Il est assez naturel que ces fils des pittoresques rivages de la Meuse se soient sentis inspirés par la belle nature qu’ils avaient sous les yeux, que leur âme, portée naturellement à la poésie, ait guidé leur main quand celle-ci a essayé de rendre ses impressions sur la toile. Mais combien ne fallait-il pas alors de génie pour en arriver au degré que De Bles sut atteindre ! Tout était à créer ou à modifier. Les lois de la perspective peu étudiées, la couleur fausse où le bleu domine, cette nature conventionnelle où la minutie du détail détruit toute la grandeur de l’ensemble ; il fallait, au milieu de ces éléments anti-poétiques, se frayer une route et atteindre un but qui satisfît aux exigences d’un génie enthousiaste de la nature.

De Bles y parvint presque toujours ; il étagea avec art ses différents plans, il adopta un coloris plus vrai, et, s’il resta un peu tributaire de la miniature appliquée au tableau, il eut assez d’habileté pour ne pas nuire à l’ampleur de la conception. Il faut, pour le juger impartialement, oublier nos progrès, nos procédés actuels, s’identifier à la rêverie du peintre, voir et peut-être se souvenir avec lui. Alors ce site aimé, cette rustique chaumière, ce ruisseau qui coule sur les cailloux blancs, tous ces accessoires qu’il aime à reproduire, se revêtent d’un charme profond ; alors on est mieux disposé à admirer ce talent créateur qui ne s’arrête pas toujours au paisible moulin alimenté par le ruisseau, mais qui nous décrit avec son pinceau les montagnes, les rochers, la grande rivière, les vieux châteaux dont les légendes ont sans doute bercé son enfance. On peut lui reprocher un feuillage parfois trop noir, des teintes grises ou bistrées un peu tristes, mais, par contre, il est visible qu’il avait l’intelligence des masses, point capital pour le paysagiste. De plus, ses compositions sont animées, nous dirions presque éclairées par des horizons lumineux du plus bel effet. Certes De Bles était né paysagiste, toutefois il ne le fut pas exclusivement ; après avoir orné ses paysages de petites scènes animées, incorrectement dessinées, mais spirituellement touchées, il aborda aussi la peinture d’histoire dans le genre de Jean de Mabuse ; comme lui, il fut raide et anguleux, et en voyant ces essais d’imitation, on se prend à regretter ses jolis tableaux des premiers temps ; nous disons des premiers temps parce que, bien évidemment, l’œuvre de De Bles se partage en trois genres, sinon en trois époques. Le paysage proprement dit où les petites scènes ne sont que l’accessoire : c’est là où il fut le meilleur, le plus original ; on y retrouve les sites de son pays natal et on voit qu’aucune influence étrangère n’a encore agi sur lui. Plus tard, la figure joue un rôle important, les sites changent d’aspect, le talent du peintre n’y gagne guère. Enfin la figure devient l’objet principal de la composition ; il réussit parfois à trouver des types attrayants, mais souvent il reste trivial, sans caractère, raide, anguleux, emprunté, et, loin de marquer un progrès