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Le portrait de De Bles, que Lampsonius met en tête de ces vers, représente un homme dans la force de l’âge, ayant une physionomie allongée, pleine de dignité et de noblesse ; une énergique méditation en est le trait dominant ; les cheveux sont courts, bouclés, et on croit apercevoir, au milieu d’un front droit et plus large qu’élevé, cette fameuse mèche, origine présumée du nom de l’artiste ; l’œil foncé, très-perçant, est surmonté d’épais sourcils bien arqués ; le nez est légèrement aquilin, une forte moustache cache une bouche sévère ; la barbe entière se partage en deux par le milieu ; la poitrine est large ; le corps annonce une haute et ferme stature ; enfin, une main nerveuse et belle serre un gant avec une certaine affectation d’énergie. Changez ce costume d’une austère bourgeoisie en une cuirasse, remplacez ce gant par une épée et l’harmonie sera parfaite, car cette figure, où domine une volonté un peu dure, semble plutôt celle d’un guerrier que d’un artiste. Mais, il n’y a pas à en douter : au-dessous nous lisons : Henrico Blesio Bovinati pictori, et dans une petite niche au fond, à droite du spectateur, nous apercevons la chouette traditionnelle. Si nous avons décrit cette intéressante image, c’est que rien ne nous semble mieux compléter l’histoire de nos vieux peintres que ces portraits qui les ressuscitent et nous identifient, en quelque sorte, avec leurs sentiments et leurs pensées les plus intimes, écrites sur leur visage ; c’est ainsi que la mâle et noble figure de De Bles fait naître une attraction à laquelle il est difficile de résister.

Il importerait assez peu au fond que le nom véritable de Henri De Bles fût perdu, si, en même temps, cela n’eût rendu stérile toute recherche sur la date de sa naissance. La plupart des écrivains qui ont parlé de lui, l’ont fait naître en 1480 et mourir en 1550 ; aucun document n’autorise cette assertion ; c’est vers cette époque qu’il vivait, voilà tout ce dont on est certain. C’est ainsi qu’on a affirmé aussi qu’il fut élève de Patenier ; Van Mander nous dit positivement qu’il se forma sans maître, mais qu’il peignit dans la manière de Patenier. Il est certain que De Blés ne séjourna pas longtemps dans sa province natale ; ce n’est pas là qu’il pouvait développer son talent ni arriver à la gloire ou à la fortune. Vécut-il en Flandre ? On ne peut l’affirmer, mais il y a lieu de le supposer. On a prétendu augurer d’un passage de Dürer dans sa relation sur son voyage dans les Pays-Bas, en 1520-1521, que De Blés tenait auberge à Malines, Dürer notant « qu’il a logé à Malines, à l’auberge de la Tête d’or, chez maître Henri le peintre. » C’est pousser un peu loin, nous semble-t-il, le système des inductions. La réputation de l’artiste bouvignois se répandit promptement ; ses tableaux furent partout recherchés. Van Mander nous en cite plusieurs qui se trouvaient, de son temps, en Hollande ; trois paysages et un Lotken (Loth et ses filles ?) chez l’amateur Wyntgis, en Zélande ; chez Martin Papenbroek, un beau paysage avec un colporteur endormi et dévalisé par des singes[1] ; à Amsterdam, chez le sieur Melchior Moutheron, les Disciples d’Emmaüs, avec des sujets de la Passion dans le fond du tableau ; enfin, chez l’empereur d’Autriche et en Italie se trouvaient également des ouvrages de De Bles. Cette nomenclature suffit pour faire voir que notre artiste, très-apprécié par ses contemporains, ne fut point au nombre de ces génies méconnus qui n’obtinrent justice qu’après leur mort. Mais nous tirons du fait encore une autre conséquence importante, c’est que De Blés dut vivre dans une contrée où l’art était en grand honneur et où les relations avec les pays étrangers permettaient aux artistes d’étendre rapidement leur réputation. Un tel centre ne peut être cherché dans le Namurois, déchiré par les guerres civiles, ruiné par les rapines et les pillages et très-peu enclin, à cette époque, à

  1. C’est le tableau qui se trouve aujourd’hui à Dresde.