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jolies strophes qu’il nous a laissées ? C’est peu probable, quoiqu’il faille reconnaître en ce trouvère un sens musical digne des troubadours :

Kant li boscaige retentist
Dou (cant) des oxillons en may,
Et la roze el verger florist
En icel tens joious et gai ;
Lors chanterai de cuer verai,
Car quant li mais d’ameir me prist,
Et plux hault leu del mont me mist.

Si l’on connaissait la date de cette avenante chanson « légère à entendre » comme disait Quenes de Béthune, on pourrait décider si elle fut adressée à la femme de Guillaume ou à sa maîtresse.

Il épousa en 1189 une des plus riches dames de Flandre, Mahault ou Mathilde de Termonde, héritière de la ville et seigneurie de Termonde, des terres de Molembeek, de Lokeren, etc., et de l’avouerie de Saint-Bavon de Gand. Elle était la fille aînée de Gautier III qui, comme la plupart de ses ancêtres, avait coutume de prendre le titre de prince dans ses lettres.

En 1194, Guillaume succéda à son frère aîné Robert le Grand, seigneur de Béthune, avoué d’Arras et de Husse, et mort sans enfants. Il garda toutefois dans ses armoiries la brisure de cadet qu’il avait dû adopter quand son aîné avait pris la place du père, chef de la puissante maison qui se rattachait aux premiers comtes d’Artois. En même temps qu’il était seigneur de Warneton et de Richebourg, il avait, comme avoué, la haute main sur tous les droits et biens que l’antique et riche abbaye de Saint-Vaast possédait tant en la ville d’Arras qu’en plusieurs autres lieux de l’Artois. Ce fut là une des sources de la grande influence des Béthune, encore bien qu’ils n’eussent rien à voir dans la châtellenie d’Arras.

Cette famille, obligée depuis la mort de Philippe d’Alsace de se rattacher provisoirement à la France, avait néanmoins ses meilleures relations et ses plus grands intérêts en Belgique. Guillaume surtout appartenait à la Flandre. Tout en relevant sa baronnie de Béthune du comté d’Artois, il était vassal du comte Baudouin pour le plus grand nombre de ses seigneuries. C’est pour cela que vers la fin du xiie siècle et au début du xiiie on voit si souvent son nom figurer au premier rang dans les actes de la chancellerie comtale de Bruges et de Lille.

En 1202, il fut avec ses frères Quenes et Barthélémy[1] parmi les premiers qui prirent la croix à Bruges, à imitation de Baudouin de Flandre et de Hainaut. Avant de partir, il fit diverses dispositions en faveur de l’église collégiale de Saint-Barthélémy et renonça à un péage de chaussée que son père avait injustement enlevé à la commune de Béthune. Il accorda aussi de larges immunités à l’abbaye des Dunes, et voulut que Mahaut sa femme et Daniel son fils aîné fussent témoins et garants de ces libéralités.

En 1204 il se distingua à la prise de Constantinople, et contribua beaucoup à l’élection de l’empereur Baudouin. Mais, soit désir de reprendre le gouvernement de son pays, soit secrète jalousie de la supériorité de son frère cadet Quenes, il quitta la Grèce dès 1205, et peu de temps après la défaite d’Andrinople. C’était la même impatience qu’avait montrée son ancien seigneur, Philippe d’Alsace, en 1177. Elle fut encore plus honteuse. L’avoué de Béthune, fatigué de butin, de razzias et de trahisons, laissa son frère gouverner Constantinople, et profita de l’occasion du retour de cinq navires vénitiens pour s’y jeter avec une centaine de chevaliers français et flamands. Ce fut en vain que son propre frère se jeta à ses genoux pour le conjurer de ne pas forfaire à l’honneur de la famille ; il demeura inflexible. Villehardouin, le preud’homme, qui d’ordinaire tait généreusement les noms des chevaliers défaillants, n’omet pas cette fois le nom de l’avoué de Béthune en tête de la liste, et il ajoute : « Mult en reçurent grant blasme en cel pais où ils allèrent et en celui dont ils partirent… et por ce dit hom, que mult fait mal, qui par paor de mort fait chose qui li est reprovée à toz jors. »

M. A. Dinaux prétend qu’il participa ensuite à la croisade ordonnée par le pape Grégoire IX contre les Stadinghen, idolâtres de l’Elbe ; mais il y a ici confusion

  1. Qui devint plus tard cordelier.