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Enragiés fus quant par ma bouche dis :
Qu’amors n’avoit valor ne seignorie.
               Certes, je menti
               Et si, m’en desdi ;
               Je ne puis valoir,
                    Ne savoir,
               Sens ne cortoisie
               S’amors ne m’aïe.

On connaît de lui une quarantaine de chansons avec airs notés ; mais jusqu’à présent il a été bien difficile de déchiffrer les mélodies. « Tout ce qu’il a fait est excellent, dit Fauchet en citant cet envoi d’un salut d’amour :

          Chansons tu t’en iras là,
          Où j’ai tout mon cuer doné ;
          La dame du mont t’auras
          Qui plus am’ en vérité
          Foy et loyauté,
          Et qui plus en a.

On est tenté de le comparer à Tibulle dont Amour dictait les vers. Telle est la délicatesse répandue dans tout ce qu’on a conservé de lui que, malgré certains textes qui permettent bien des conjectures, on ne songe guère à dire de cet ami du duc de Brabant ce que Fauchet dit d’un trouvère flamand, autre ami de ce duc : « Jean Erart, dit le grave président » en la Cour des monnoyes « en prenoit où il pouvoit, et ses amours, quoi qu’il die, ne furent fermes. » Il est vrai que le bon érudit ajoute : « ou il faisoit des chansons pour un autre. »

J. Stecher.

Histoire littéraire de la France, t. XXIII. — A. Dinaux, Trouvères de la Flandre. — Id., Trouvères de l’Artois. — Claude Fauchet, Œuvres. Paris, 1610. — Biographie de la Flandre occidentale, t. IV. — Fétis, Dictionnaire des musiciens. — Serrure, Geschiedenis der Ned. Letterk.Bulletins de l’Acad. R. de Belgique. t. 20 et 21.

BERNON, poëte, musicien, philosophe, théologien, vécut à la fin du xe siècle et au commencement du xie. Il mourut le 7 janvier 1045. Aucun biographe n’est parvenu à fixer d’une manière certaine la nationalité de Bernon ; les uns le font naître en France, les autres lui donnent l’Allemagne pour patrie. Enfin d’après une troisième ver-sion, en vertu de laquelle nous lui donnons place ici, il serait originaire de l’ancien Luxembourg. Ce qui reste établi, au milieu de ces incertitudes et de ces doutes, c’est que Bernon fut moine de l’abbaye de Prume, au diocèse de Trèves, où il se trouvait en l’an 1000. L’erreur dans laquelle ont versé quelques écrivains, provient en grande partie de ce qu’ils ont confondu notre personnage avec un autre du même nom, qui l’a précédé de cent ans et qui fut abbé de Cluny. C’est par suite de cette confusion que le père Bernard Pez et Casimir Oudin disent qu’il fut d’abord moine de Saint-Gall en Suisse, et ensuite élu en 1014 abbé de Richenau. Vossius se trompe pareillement en faisant de notre Bernon un disciple d’Hincmar, ce qui pourrait s’appliquer à celui qui fut abbé de Cluny. D’après les auteurs de l’Histoire littéraire de la France, Bernon, qui fait l’objet de cette notice, fut d’abord moine de l’abbaye de Fleuri sur la Loire ; il y fit ses études sous Abbon ou sous Constantin et peut-être sous l’un et l’autre ; il s’y trouvait encore en 999, puisqu’on le voit comme député de ce monastère à l’assemblée d’Orléans, au sujet du différend survenu en décembre de cette année, touchant la durée de l’avent qui précède la fête de Noël. De là il passa à Prume et s’y fit la réputation d’un des hommes les plus saints et les plus savants de son siècle. Le roi Henri le Pieux, qui faisait le plus grand cas de Bernon, voulant lui donner des marques de sa haute estime, en trouva bientôt l’occasion ; Immon, abbé de Richenau (Augiæ divitis), près de Constance, s’étant rendu odieux à ses moines par son excessive sévérité, on résolut, en 1008, de le déposer. Henri fit élire Bernon à sa place. C’est de là que quelques écrivains du moyen âge l’ont nommé Augiensis, du nom de son monastère. Dès qu’il eut la direction de l’abbaye, le nouvel abbé y rappela les frères dispersés, en augmenta bientôt le nombre, restaura les édifices, rétablit la bibliothèque, revendiqua les biens aliénés et réussit, par ses sages exhortations soutenues par son exemple, à y faire revivre l’esprit de saint Benoît. Aussi fut-il compté au nombre des plus illustres abbés. Il paraît avoir été homme de grande considération, car en 1013, il accompagna Henri le Pieux dans son voyage d’Italie, et se trouva l’année suivante, au mois de février, à Rome, à la cérémonie de son couronnement comme empereur.