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gnols contre les Belges ne connurent plus de limites ; Berghes et Montigny étaient consternés, désespérés. Philippe tomba gravement malade et ne se guérit que pour songer à la vengeance. Il se renferma dans son palais de Madrid, ne se montrant plus à personne, contre son habitude, n’assistant pas même à la messe ; enfin, le 19 octobre, il convoqua ses ministres pour arrêter un parti décisif. On croit avec quelque raison qu’il avait déjà conçu, à ce moment, le projet d’envoyer aux Pays-Bas l’implacable duc d’Albe. Berghes et Montigny lui proposèrent de designer Ruy Gomez, prince d’Eboli ; mais leurs sympathies pour ce personnage auraient suffi pour le dissuader de ce choix ; d’ailleurs il avait besoin de Ruy Gomez pour surveiller son fils Don Carlos et le tenir éloigné de sa personne. L’historien Cabrera insinue que les envoyés belges, à bout de ressources, engagèrent le prince d’Espagne à se rendre dans nos provinces, lui offrant de prendre les armes en sa faveur s’il y allait contre le gré du roi. Mais l’ensemble de leur conduite, leur constante fidélité, l’absence de tout document pouvant faire supposer que Don Carlos fût désiré des Beiges, enfin le caractère même du fils de Philippe II, bien connu des personnages les plus influents des Pays-Bas, tout contribue à démentir une pareille assertion[1]. Philippe se décida donc pour le duc d’Albe et ordonna des armements considérables. Berghes et Montigny, considérant leur mission comme terminée, demandèrent leur congé : ils essuyèrent un refus. Leur sort était décidé dans l’esprit du roi ; « ils étaient voués l’un et l’autre à une mort ignominieuse[2]. » Ils réclamèrent inutilement l’intervention de Marguerite : la duchesse avait elle-même recommandé à son frère, par lettre du 18 novembre, de les retenir en Espagne jusqu’à la fin des troubles. La santé de Berghes, déjà compromise, empira tout à fait : il se voyait injustement soupçonné, réduit à l’impuissance, éloigné de tous ceux qui lui étaient chers ; et il ne pouvait douter que l’obstination et la colère du roi n’entrainassent en Belgique une série de bouleversements dont les conséquences étaient incalculables. Il fut pris d’un accès de fièvre et il eut, dit une relation de l’époque, le bonheur d’y succomber à temps[3]. Le bruit courut qu’il avait été empoisonné ; il n’est pas nécessaire de le supposer. Philippe était, ce semble, assez sûr de son fait. Le 16 mai, il ordonna au prince d’Eboli d’aller voir le marquis, et de lui accorder au nom du roi, mais seulement dans le cas où la guérison paraîtrait à peu près impossible, la permission de retourner aux Pays-Bas ; s’il y avait quelque chance de rétablissement, Ruy Gomez devait se contenter de lui faire espérer cette permission. « S’il meurt, » ajoutait-il dans son billet autographe et confidentiel, « il faudra lui faire de magnifiques obsèques ; il sera bien, en cette occasion, de montrer le regret que le roi et ses ministres ont de sa mort, et le cas qu’ils font des seigneurs des Pays-Bas ! » En même temps Ruy Gomez fut averti d’avoir l’œil sur Montigny, « qui pourrait vouloir s’échapper. » Le malheureux collègue de Berghes dut effectivement bientôt se considérer comme prisonnier. L’arrestation des comtes d’Egmont et de Homes aux Pays-Bas fut le signal de la sienne : son procès subit de longs délais, mais sa captivité devient de plus en plus étroite. Enfin, le 16 octobre 1570, il fut étranglé en secret dans le château de Simancas : on publia naturellement qu’il était mort de maladie, et ses funérailles ne furent pas moins pompeuses que celles du marquis de Berghes.

Les biens de Montigny furent confisqués. Ceux de Berghes tentèrent aussi la convoitise du gouvernement, qui n’aimait pas de voir certaines maisons devenir trop puissantes. La duchesse reçut l’ordre de mettre bonne garde en la ville de Berg-op-Zoom et aux biens du mar-

  1. Gachard, ouv. cité, p. 365.
  2. Id., ibid., p. 380.
  3. « Le marquis de Berghes ayant eu, le 13 (mai), une rechute très-violente de fièvre, avec chambres de sang, est mort le 21 au matin. » Lettre de Montigny à la duchesse de Parme (Corresp. de Philippe II, t. I, p. 540).