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Jacques de Croy et Jean de Hornes se partagèrent les voix au second scrutin ; le pape opta pour ce dernier, partisan de l’archiduc Maximilien. La fureur du Sanglier ne saurait se décrire : il mit à feu et à sang le comté de Hornes et ne se décida qu’après plus d’un an, sous le coup d’une défaite, à traiter de la paix. Toutes les rancunes parurent instantanément oubliées : on vit Jean de Hornes faire son entrée officielle à Liége, escorté du terrible Sanglier. Ils devinrent en apparence, et certainement de bonue foi du côté de Guillaume, les meilleurs amis du monde. Ils ne se quittaient plus, ils mangeaient ensemble, ils couchaient ensemble, dit un l’écit contemporain. Mais l’évêque, peut-être en cela d’accord avec Maximilien, méditait une indigne trahison, dont Antoine de Berghes est fortement soupçonné de s’être fait le complice. L’abbé de Saint-Trond convia les deux inséparables à un grand festin. « On rit, on folâtra, on dansa : De Berghes, d’un caractère jovial, aimait les bons mots et avait une manière agréable d’en faire sentir le sel ; la gaieté était empreinte sur sa face rubiconde[1]. » Le lendemain, Jacques de Hornes et Frédéric de Montigny, frères de l’évêque, firent seller leurs chevaux pour se rendre, disaient-ils, à Louvain. L’évêque Jean se mit en devoir de les reconduire à quelque distance ; Guillaume voulut être du cortége et s’y joignit sans armes, suivi d’un seul valet. Aux approches du bois de Heers, Montigny, pour isoler le Sanglier, le défia à la course. Des soldats les attendaient dans une embuscade, la mèche allumée : Montigny déclara d’Arenberg son prisonnier et le conduisit, sans retard, à Maestricht, c’est-à-dire à la mort[2]. Cependant Guillaume avait aussi des frères : ils jurèrent de le venger. Un certain Guy de Kanne, sous prétexte de les servir, s’empara de l’autorité à Liége, alla surprendre et piller la ville de Saint-Trond, et ramena Antoine dans la capitale, les fers aux pieds (1486). Guy de Kanne s’était appuyé sur le parti populaire ; mais ayant abusé de son pouvoir, il devint suspect à ses amis d’un jour, et fut massacré sur les degrés de Saint-Lambert. Les meurtriers pénétrèrent aussitôt dans la prison d’Antoine, qu’ils n’avaient pas cessé de considérer comme un ennemi : ils allaient le frapper, lorsqu’il tomba à leurs genoux, leur demanda grâce en pleurant et fit si bien qu’il les fléchit, moyennant l’engagement de payer à la ville de Liége une somme annuelle de quinze mille florins du Rhin, rente dont plusieurs termes furent effectivement soldés. Ou le força de chanter un Te Deum à la cathédrale, après quoi il fut libre d’aller retrouver, à Cologne, Jean de Hornes et Maximilien. Il retourna ensuite à Saint-Trond, où il ne trouva que désolation et misère. Ne voyant pas la possibilité d’y être entretenu selon son rang, il alla vivre à Louvain aux dépens de son frère Jean : son intention, disait-il, était de s’occuper de travaux littéraires. Si ruinée que fût son abbaye, il en garda cependant la commende, laissant à un moine de son choix le fardeau de l’administration, et se faisant payer tous les ans une redevance dont son représentant fixait lui-même le chiffre. En 1493, par l’influence de ses alliés, il se fit élire abbé de Saint-Bertin. Ce fut dans cette dernière retraite que, de 1497 à 1512, il consacra son temps à rédiger la chronique de l’abbaye de Saint-Trond et l’histoire de l’ordre de la Toison d’or, où sa famille occupait des nombreuses pages. Si l’abbé commendataire de Saint-Trond s’intéressait à ses prédécesseurs, il se montrait fort indifférent à l’égard de ses subordonnés : il les laissa tranquillement négocier avec son frère Jean pour la cession de leurs droits de souveraineté : l’acte était rédigé, il n’y manquait plus que le sceau abbatial, lorsque l’évêque Jean de Hornes se rendit précipitamment à Saint-Trond, menaça les moines, les conjura de ne point commettre une telle imprudence et parvint enfin à faire rompre le contrat. Antoine de Berghes renonça définitive-

  1. Goethals, Hist. des lettres, etc. — V. les Récits hist. de M. Polain, éd. de 1866, p. 282.
  2. Réponse du captif quand on lui eut fait connaître, à sa prière, le lieu de sa destination.