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n’est que par voie de conjecture qu’on peut lui attribuer la ville de Berg-op-Zoom pour berceau. Tout ce que l’on connaît de positif à son sujet, c’est que, vers l’an 1590, il exerçait un trafic considérable d’expédition sur les eaux intérieures de la Zélande et du Brabant septentrional.

À cette époque, la ville de Bréda se trouvait au pouvoir des Espagnols. Or, le prince Maurice de Nassau attachait la plus grande importance à la possession de cette forteresse qui lui eût permis d’attaquer d’autant plus énergiquement les provinces méridionales des anciens Pays-Bas qu’il avait déjà, en deçà des grandes eaux qui les séparent des provinces du nord, deux solides points d’appui, l’un à Berg-op-Zoom, l’autre à Steenbergen, outre les châteaux de Gorcum et de Loevestein. De son côté, le duc de Parme mettait le plus grand prix à conserver une place qui était en quelque sorte la clef de la Belgique centrale, et il y entretenait une forte garnison composée d’Espagnols et d’Italiens. Celle-ci ne semblait pouvoir être réduite que par un siége en règle. Elle le fut par un statagème mémorable dans l’histoire des guerres du xvie siècle.

Depuis longtemps un gentilhomme cambrésien, Charles de Haraugier, l’un des plus audacieux aventuriers qui se trouvassent au service des Provinces-Unies, avait conçu le projet de se rendre maître de Bréda. Pour le réaliser, il lui fallait le concours d’Adrien van Bergen, et ce concours le patriote brabançon le lui assura. Un des bateaux de celui-ci naviguait sur la Marck et servait spécialement à approvisionner la garnison de la forteresse de cette tourbe que l’on extrait en si grande quantité des marécages du Brabant septentrional. Il s’agissait de cacher au fond de cette embarcation une troupe d’hommes déterminés, de les introduire dans la place et de faire ensuite main basse sur la garnison. Ce plan, concerté avec le comte Philippe de Nassau, le prince Maurice et Olden Barneveld, avocat de la province de Hollande, devait recevoir son exécution le lundi 26 février 1590. Van Bergen avait fait établir secrètement dans son bateau un faux pont sous lequel Haraugier et soixante-dix hommes de guerre résolus se blottirent aussi bien qu’ils purent, et il voulut prendre lui-même le commandement du navire.

Mais ici commença une suite de contrariétés qui faillirent faire avorter l’audacieuse entreprise. Le vent contraire et la gelée qui ferma subitement la rivière ne permirent au bâtiment d’avancer ni de reculer, et le retinrent pendant trois jours immobile à la même place. Si bien que, dans la matinée du jeudi 1er mars, les compagnons d’Haraugier manquant de vivres et pouvant à peine respirer dans l’étroit espace où ils étaient resserrés, commencèrent à murmurer hautement ; leur chef se vit forcé de leur permettre de descendre à terre et de gagner le retranchement de Noordam où ils passèrent la journée à se refaire. S’étant rembarques dans la soirée, ils arrivèrent le lendemain à un quart de lieue de Bréda, et ce fut seulement le 3 mars, à dix heures du matin, que le bateau atteignit le voisinage de la citadelle, où il atterrit provisoirement en attendant que la marée vînt et lui permît d’entrer dans le fossé du château même.

Cependant, la barque s’étant heurtée de tous côtés contre les glaçons et se trouvant couchée sur le flanc à cause du reflux qui avait considérablement fait baisser la rivière, ne tarda point à prendre eau dans une partie de sa cale, de manière que les gens d’Haraugier s’y virent bientôt plongés jusqu’aux genoux. Alors il se passa parmi ces hommes une de ces scènes tragiquement grandioses qui s’attachent, comme des inventions légendaires, à toutes les entreprises dont le succès dépend des efforts d’un héroïsme collectif. L’histoire nous apprend que, dans ce moment critique, le lieutenant de Lierre, Mathieu Helt, atteint d’un rhume violent et préoccupé uniquement de la crainte que sa toux ne trahît ses compagnons d’armes, leur présenta son poignard et les supplia de le frapper droit au cœur s’il se prenait à tousser encore. Heureusement il ne fut pas nécessaire de recourir à cette extrémité. La marée étant survenue, le