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der. Nous n’avons pas des lumières plus certaines pour déterminer d’une manière précise la signification de son surnom le Roi. Adenès le prit-il parce que, selon M. Paris (ouvr. cit., p. 677), il occupa, à la cour du duc de Brabant Henri III, la charge de chef ou roi des ménestrels, fonction très-complexe, en vertu de laquelle celui qui s’en trouvait investi était à la fois « chef d’orchestre, directeur de théâtre et s’il nous est permis d’ajouter intendant des plaisirs ? » Ou parce que, d’après de La Serna Santander (Mémoire historique sur la bibliothèque dite de Bourgogne, p. 118) et Ferdinand Wolf (Ueber die alt-französichen Heldengedichte, p. 30), il fut attaché au service du même prince en qualité de héraut ou de roi d’armes ? Ou parce que, s’il faut en croire M. Francisque Michel (Examen critique du roman de Berte, p. 7), il fut chef ou roi d’une de ces associations littéraires qui, connues sous le nom de puys et instituées à l’exemple des cours d’amour de la Provence, existaient en Flandre depuis la première moitié du xiiie siècle et s’y sont perpétuées jusqu’à nos jours sous la dénomination plus moderne de sociétés de rhétorique ? Ou bien parce que, d’après l’opinion de Roquefort (État de la poésie française pendant les xiie et xiiie siècles, p. 138), il obtint simplement une couronne dans quelque concours poétique ouvert par l’une ou l’autre de ces compagnies ? Rien ne nous permet de l’affirmer. On ne possède pas des renseignements plus positifs sur le lieu de naissance, sur la famille, ni sur la position sociale d’Adenès. Cependant nous pouvons admettre, d’après une conjecture généralement consacrée, qu’il fut d’origne brabançonne. En effet, il nous apprend lui-même, dans un poëme, inédit encore, de Cléomadès, qu’il dut à la munificence du duc de Brabant Henri III le bienfait de son instruction littéraire et de son éducation. On sait que ce prince, qui gouverna le duché depuis l’an 1248 jusqu’à sa mort, survenue en 1261, accueillait volontiers les poëtes et qu’il cultivait lui-même les lettres avec quelque succès, comme l’attestent trois ou quatre de ses chansons que le temps nous a conservées. C’est de lui qu’Adenès entend parler en disant :

Menestrex au bon duc Henri
Fui. Cil m’aleva et norri
Et me fist mon mestier aprendre.

De ces lignes on a déduit naturellement que notre poëte vit le jour dans le Brabant, qu’il appartenait à une famille peu favorisée des dons de la fortune et, que sa naissance ne saurait guère être reportée au delà de l’année 1240. On y voit aussi qu’une fois initié à l’art de la poésie, il obtint la position officielle de ménestrel de la cour de son généreux protecteur. Si, à ce titre, il vécut dans une certaine familiarité littéraire avec Henri III, on ne le sait pas d’une manière certaine ; mais rien n’autorise à en douter. En effet, dans plusieurs passages de son poëme de Cléomadès, il manifeste le plus vif attachement pour ce prince. Même lorsque, le 28 février 1261, le duc, se trouvant malade à Louvain et sentant venir la mort, eut fait ouvrir toutes larges les portes de son hôtel, afin que, riches et pauvres, on laissât pénétrer autour de sa couche tous ceux qui le souhaiteraient, Adenès assista pieusement à cette belle agonie, durant laquelle, dit-il, loin d’avoir besoin de sermons, le mourant prêchait lui-même les autres et distribuait des aumônes.

Je meïsmes aussi i fui,
Qui puis bien dire, sans doutance,
K’ains plus bele reconnoissance
Ne pot avoir mes hom mortés
Que il ot. Diex en soit loés !

Bien des années après ce jour, il se souvint encore avec attendrissement de la triste et touchante scène dont il avait été témoin, et s’écria dans l’élan de sa douleur et de sa reconnaissance :

Loians princes fu et gentis,
Et bons, et biaus, et dous, et frans,
Et courtois.

Nous ignorons quelle fut, à la cour de Brabant, la position d’Adenès durant les longues querelles intestines dont le duché fut le théâtre après la mort de Henri III et qui s’élevèrent à l’occasion de la tutelle des enfants mineurs encore de ce prince. On sait que ce fut seulement en 1267 que l’aîné, Henri, disgracié de la nature et faible d’esprit, se retira dans un mo-