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les siens, à condition qu’ils se chargeraient de la défense de la ville. Mais, trop fier pour se faire le vassal d’un Grec qui n’était pas même de sang royal, le Lotharingien repoussa cette offre avec indignation et se disposa à quitter immédiatement Édesse. Aussitôt une vive agitation se manifesta parmi les habitants, et une émeute populaire allait éclater, quand le vieillard, se ravisant tout à coup, déclara qu’il adoptait le chevalier franc pour son fils et le serra, en présence de la foule, sur sa poitrine nue, selon l’usage oriental.

Baudouin n’eut pas de peine à justifier la confiance que les Édesséens avaient mise dans son épée. Son premier soin fut d’essayer de s’emparer de Samosate dont l’émir les mettait périodiquement à rançon et retenait en otage une partie de leurs enfants ; mais, n’ayant pu réussir à enlever cette ville de vive force, il la tint en échec au moyen de quelques postes fortifiés qu’il garnit de troupes et qui la mirent dans l’impossibilité d’inquiéter désormais les habitants d’Édesse. Ceux-ci conçurent alors le dessein de déposséder leur ancien chef de la part d’autorité qu’il s’était réservée. Leurs notables commencèrent par négocier avec lui les conditions de son abdication ; mais ils ne purent vaincre sa résistance. De sorte qu’il ne restait plus qu’à le déposer par la force. Une émeute fut donc organisée dans laquelle le vieillard fut tué à coups flèches en essayant de se sauver par la fuite. Baudouin ne s’ingéra point d’une manière ostensible dans ce complot ni dans ce crime. Cependant il en recueillit sans scrupule tous les bénéfices, et accepta la souveraineté d’Édesse avec le riche trésor que son prédécesseur avait amassé. Une fois investi du pouvoir suprême, il songea à consolider le nouvel État qu’il avait projeté de fonder. Plusieurs circonstances heureuses l’aidèrent à réaliser ce dessein. En effet, l’émir musulman de Samosate lui vendit cette ville pour dix mille deniers d’or, et bientôt un autre émir, Balak, lui céda à prix d’argent l’importante forteresse de Saroudsch qui, située entre Édesse et l’Euphrate, permettait à Baudouin de se tenir en communication avec la grande armée chrétienne.

C’est ainsi que se fonda ce puissant comté d’Édesse qui, durant la première période de l’existence du royaume de Jérusalem, en constitua au nord-est le principal boulevard et qui resta pendant quarante-cinq ans sous la domination latine.

Les chroniqueurs des croisades ne manquent pas de s’étendre sur les habitudes fastueuses du nouveau souverain d’Édesse, qui prit à cœur d’éblouir par son luxe les populations soumises à son autorité. Il avait laissé croître sa barbe à la mode orientale. Il faisait se prosterner devant lui ses sujets et prenait toujours ses repas étant assis les jambes croisées sur de somptueux tapis. Quand il allait visiter l’une ou l’autre ville de son comté, il y faisait son entrée précédé d’un groupe de cavaliers qui sonnaient du clairon, et partout où il allait, on voyait marcher devant lui un dignitaire de sa maison portant un bouclier d’or, sur lequel était figurée la forme héraldique d’une aigle aux ailes déployées. Sa première femme ayant succombé à la fatigue quand la grande armée eut atteint Marasch, dans la petite Arménie, il avait épousé en sécondes noces la fille d’un prince arménien que le chroniqueur Guillaume de Tyr nous fait connaître sous le nom de Tafroc. Mais ce lien ne l’empêcha point de faire de fréquentes infractions à la de fidélité conjugale, quoiqu’il ne se permît jamais de donner du scandale ni d’employer la violence à l’égard des femmes.

Pendant que les croisés, après la prise d’Antioche de Syrie, se trouvaient en proie à la peste, Baudouin offrit à une partie de leurs chefs, entre autres à son frère Godefroid, l’hospitalité dans son comté d’Édesse. Non content de les recevoir dans ses villes et dans ses châteaux situés sur les bords salubres de l’Euphrate, il leur fournit des vivres en abondance et les combla de riches présents. Mais cette générosité faillit lui devenir funeste. Les Edesséens s’en irritèrent, voyant avec dépit les latins s’installer presque en maîtres dans les forteresses, et leur prince, non-seulement donner le pas sur eux à