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nous le trouvons inscrit au tableau des avocats de la Haye. Mais pour cet esprit inquiet et remuant, ce théâtre n’était pas assez vaste. Baudier rêvait d’autres destinées. Il partit bientôt pour la France où il résida pendant dix ans, et d’abord à Tours. Fixé plus tard à Paris, il s’y fit de nombreux amis et de puissants protecteurs, parmi lesquels le premier président Achille de Harlay, ce qui lui valut d’être reçu avocat au Parlement de cette ville en 1591 ou 1592.

Toutefois cette position ne le satisfaisait pas. Son désir extrême était d’entrer dans la diplomatie et d’obtenir le titre de résident des États généraux à Paris. Pendant qu’il caressait cette idée ambitieuse, il se livrait à des dépenses excessives qui l’endettèrent au point qu’on dut l’emprisonner. Il fut tiré de ce mauvais pas par son ami, l’illustre historien De Thou.

S’étant ensuite porté garant pour un de ses amis, il fut de nouveau arrêté et jeté en prison. D’autres assurent qu’il s’était attiré une mauvaise affaire avec des étudiants. D’autres encore disent qu’il fut victime d’une fausse accusation.

En 1602, il accompagna, comme secrétaire, le fils d’Achille de Harlay, que Henri IV envoya en qualité d’ambassadeur en Angleterre et revit, à cette occasion, la reine Élisabeth et sa cour.

Soit dégoût, soit embarras de finances, cette vie quelque peu errante ne tarda pas à déplaire à Baudier. Il revint pour la troisième fois à Leyde et y obtint la chaire d’éloquence. En 1607, il remplaça à cette université, comme professeur d’histoire, le célèbre Paul Merula. Il s’y essaya aussi à l’enseignement du droit romain, mais sa vie déréglée, qui scandalisait le public, obligea les curateurs de cet établissement de lui interdire l’accès de sa chaire de professeur. Il se plaint amèrement de cette mesure rigoureuse dans les lettres datées des années 1611 et 1612, qu’il adressa à Nicolas Seystius, secrétaire du collège des curateurs, et à des membres du conseil académique[1]. N’ayant pas obtenu le retrait de la censure qui le frappait, il renonça à la carrière de l’enseignement et, grâce aux puissantes influences qu’il avait conservées, il obtint le titre d’historiographe de la République des Provinces-Unies, charge qu’il ne conserva pas longtemps, car il succomba deux ans après à un accès de fièvre délirante, à l’âge de près de cinquante-trois ans. Il fut inhumé dans l’église de Saint-Pierre, à Leyde.

Élevé bien jeune à l’école du malheur et de la pauvreté, Baudier, malgré ses dérèglements et son ambition sans bornes, y puisa une fermeté stoïque qu’il conserva pendant toute sa vie. C’est aux mêmes causes sans doute qu’il faut attribuer son penchant prononcé pour la satire et un sentiment de misanthropie qui se reflète surtout dans ses poésies latines et dans sa correspondance familière.

Les relations qu’il entretenait étaient, comme le témoignent ses lettres, fort nombreuses ; il était lié avec les hommes les plus éminents de ce siècle si littéraire : De Thou, Casaubon, Putéanus, Scaliger, Gentius, Douza, Achille de Harlay, Juste-Lipse, Duplessis-Mornay, Sully et les noms de bien d’autres reviennent fréquemment dans ses écrits, comme ceux de ses intimes. De même que beaucoup d’érudits de son époque, Baudier a éparpillé partout les productions de son esprit aussi vif que brillant. Mais c’est dans la poésie qu’il réussit le mieux. Hoffman-Peerlkamp le place au nombre des meilleurs poëtes latins des Pays-Bas et déclare que personne ne l’a surpassé dans la composition des ïambes, dont la coupe rythmique s’accommodait très-bien à son esprit ingénieux et facile. Doué d’un patriotisme ardent, il chante avec vigueur les hommes qui délivrèrent son pays du joug de l’étranger ; ce qui cependant ne le préserve pas de se livrer à l’adulation pour les personnages qui le protégeaient ou dont il pouvait espérer des faveurs. Il célèbre aussi avec non moins de feu ses amours, quand il parle de la jeune flamande, nommée Marie, qui devint plus tard sa femme et qu’il perdit en 1609. Sa poésie, remarquable par une

  1. Epistolarum centuriæ duæ, pp. 497, 516, 532, 534 et 541. (Lugd. Batav., 1615.)