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de corps, et qui fut accompagné de deux nouveaux décrets à charge d’autres doyens et des pillards.

Ce factum, véritable historique des troubles, est rédigé avec un art infini : on y entremêle constamment les actes posés par les doyens, et, en particulier, par Anneessens, et les scènes de violence et de pillage qui eurent lieu malgré eux ; tout est disposé, coordonné pour transformer le principal accusé en un révolutionnaire : ses démarches en qualité de syndic, ses propres discours, les paroles de ses collègues, des intentions qu’on lui suppose très-gratuitement ou qu’on lui attribue au moyen de témoignages évidemment controuvés. Le marquis de Prié et ses agents l’auraient volontiers élevé au rang de chef d’une grande conspiration ayant pour but d’enlever les Pays-Bas à l’Autriche, et ils comptaient, pour arriver à ce but, sur l’emploi de la torture, au moyen de laquelle on a tant de fois forcé des accusés à déclarer tout ce qu’on désirait leur faire avouer ; mais le refus du conseil de Brabant de concourir à cette machination infâme la fit avorter. Et tandis qu’on accumulait contre Anneessens les présomptions de culpabilité, on écarta avec soin les particularités de nature à atténuer ses torts, on passa sous silence ses tentatives pour protéger la chancellerie de Brabant, on dissimula la participation à certains de ses actes d’autres personnes dont on n’incriminait pas les intentions.

Pourquoi fut-il seul désigné à la hache du bourreau ? Pourquoi ses coaccusés, qui parfois se compromirent davantage ou furent plus violents, évitèrent-ils la peine capitale ? La raison de cette rigueur exceptionnelle est facile à saisir. Anneessens était une de ces individualités fortement trempées, que les despotes, grands et petits, haïssent jusqu’au fond de l’âme et poursuivent sans pitié : les connaissances qu’il devait à ses lectures, contrariaient leur inflexible volonté de maintenir la Belgique sous le joug, au nom d’un gouvernement qui montra toute sa faiblesse vis-à-vis de l’étranger dans l’affaire de la compagnie d’Ostende ; sa probité, son attachement à ses devoirs contrastaient avec la cupidité et la servilité de ces hommes qui le firent condamner et dont le nom déshonoré souille cette page de notre histoire.

Anneessens avait été longuement interrogé sur des faits nombreux, dont quelques-uns avaient été parfaitement élucidés par lui. Traduit en jugement devant le conseil, il entendit le procureur général demander qu’en cas de nécessité, « il fût appliqué à la torture ou examen rigoureux. » La cour n’admit pas cette requête barbare, mais elle refusa au doyen l’assistance d’un avocat et d’un procureur, contrairement aux dispositions formelles d’un décret du gouverneur général le marquis de Grana, du 18 juillet 1685. La partie était-elle égale ? D’un côté, de profonds légistes, de l’autre, un pauvre artisan n’ayant pour se défendre que sa conscience et le sentiment de ses droits de citoyen ; d’une part, des fonctionnaires s’entr’aidant, s’éclairant, s’appuyant sur les ressources de toute espèce que le pouvoir possède, de l’autre, un homme enfermé entre quatre murs, isolé de ses amis, séparé de ses coaccusés, n’ayant ni encre, ni plume pour mettre en ordre ses souvenirs et à qui on mesurait jusqu’au jour qui éclairait sa prison.

La sentence, qui porte la date du 9 septembre 1719, met à la charge d’Anneessens un grand nombre de chefs d’accusation, mais la plupart des griefs reprochés au doyen pouvaient l’être aussi aux autres syndics, qui y avaient coopéré. Quelques-uns sont de peu d’importance ou sont contredits par les dépositions des témoins assignés à la demande d’Anneessens. Quatre doyens, à peu près aussi coupables que lui, ne furent condamnés qu’à l’exil, et sept pillards furent voués à la potence. Le marquis de Prié, peu satisfait du résultat de ses efforts, se hâta cependant de faire exécuter la sentence, de crainte qu’on ne parvînt à obtenir de l’Empereur une commutation de peine. Anneessens reçut avec fermeté et résignation la nouvelle de sa condamnation et passa sa dernière nuit avec le père Janssens, jésuite, qu’il avait demandé pour confesseur.