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distinction. Nous alternons ensemble de la journée toute modeste, tout uniforme, à la journée de luxe, de joyeux écoulement En hiver, nous nous faisons bien petites au¬ tour du foyer pour mieux sentir la chaleur, pour mieux nous voir aussi, et nous babillons avec amour. Nous sa¬ vons bien parler des petites fées et de l’Ariel de Shaks- peare ; Üe Trilby si léger, si mignon ; du géant de l’Ariostë qui courait après sa tête. Elles savent bien quel¬ que chose aussi de Méphistophélès, de l’ombre de Ban- quo et de l’astrologue de Walleinstein et encore des kobolds délicieux de Henri Heine, des Enfants aux petits coussins bleus, si délicieusement contés par Marmier: éru¬ dition féerique qui vaut, bien celle du Chaperon rouge.

C’est chose curieuse de les entendre forcer leur-jeune voix pour débiter de la poésie ravissante de mélodie ou magnifique de pensée, tout en arrosant leurs fleurs ou en cousant une robe. La belle et mélancolique figure de M. de Lamartine ; la figure grave et pensive, à la ma¬ nière espagnole de M. Hugo, auraient un sourire pour ces naïves admirations. Les petits portraits des génies de nos temps que je me suis donnés, ont aussi causé de grands ravissements ; moi-mêmë, j’ai un plaisir indi¬ cible à chercher sur ces traits la vie intérieure.

Cette double nature dont j’ai la conscience, m’a, jus¬ qu’à ce jour, fait comprendre les œuvres les plus oppo¬ sées. Je trouve en moi la sensation fine, coquette du gracieux ; et la haute, la mystérieuse tristesse ; l’aspira¬ tion criante ou solennelle et sombre vers l’infini. Les bonheurs que m’ont donnés la conversation d’êtres élevés d’intelligence et de cœur, les bonheurs que j’ai dus à mes lectures solitaires n’appartiennent à aucune langue. Cet hiver, dans ce que j’appellerai mes frénésies litté¬ raires, j’ai eu sur ma table huit, dix ouvrages à la fois. Selon que j’y étais entraînée, je lisais un chapitre de